<237>gation, pourquoi les Prussiens n'en feraientils pas autant? Les hommes deviennent tous des aigles, quand on leur ouvre les chemins de la fortune; il faut que l'exemple les anime, que l'émulation les excite, et que le souverain les encourage. Les Français ont été tardifs, nous le sommes de même; peut-être est-ce que notre heure n'est pas encore venue.
On songeait moins alors à étendre le commerce, qu'à réprimer les dépenses inutiles. Les deuils avaient été autrefois ruineux pour les familles : on donnait des festins aux enterrements; la pompe funèbre était même coûteuse. Toutes ces coutumes furent abolies : on ne drapa plus les maisons ni les carrosses; on ne donna plus de livrées noires; et depuis on mourut à fort bon marché.
Ce gouvernement tout militaire influa dans les mœurs, et régla même les modes : le public avait pris par affectation un air aigrefin; personne, dans tous les Étas prussiens, n'avait plus de trois aunes de drap dans son habit, ni moins de deux aunes d'épée pendues à son côté. Les femmes fuyaient la société des hommes, et ceux-ci s'en dédommageaient entre le vin, le tabac et les bouffons. Enfin nos mœurs ne ressemblaient plus ni à celles de nos ancêtres ni à celles de nos voisins : nous étions originaux, et nous avions l'honneur d'être copiés de travers par quelques petits princes d'Allemagne.
Vers les dernières années de ce règne, le hasard conduisit à Berlin un homme obscur, d'un esprit malfaisant et rusé;72 c'était une espèce d'adepte, qui faisait de l'or pour le souverain, aux dépens de la bourse de ses sujets. Ses artifices lui réussirent un temps; mais comme la méchanceté se découvre tôt ou tard, ses prestiges disparurent, et sa malheureuse science rentra dans les ténèbres dont elle était sortie.
Telles ont été les mœurs du Brandebourg sous tous ses différents gouvernements. Le génie de la nation fut étouffé par une longue suite de siècles barbares; il s'éleva de temps en temps, mais il s'affaissa aussitôt sous l'ignorance et le mauvais goût; et lorsque des circonstances heureuses semblèrent favoriser ses progrès, survint une guerre dont les suites funestes anéan-
72 Eckhard.