<239>Dans les royaumes, la forme du gouvernement n'a de base que le despotisme du souverain : les lois, le militaire, le négoce, l'industrie, et toutes les autres parties de l'État, sont assujetties au caprice d'un seul homme, qui a des successeurs qui ne se ressemblent jamais; d'où il s'ensuit, pour l'ordinaire, qu'à l'avénement d'un nouveau prince, l'État est gouverné par de nouveaux principes, et c'est ce qui porte préjudice à cette forme de gouvernement. Il y a de l'unité dans le but que les républiques se proposent, et dans les moyens quelles emploient pour y parvenir; ce qui fait qu'elles ne le manquent presque jamais : dans les monarchies, un fainéant succède à un prince ambitieux; celui-ci est suivi d'un dévot; celui-là, par un guerrier; celui-ci, par un savant; celui-là, par un autre qui s'abandonne à la volupté; et pendant que ce théâtre mouvant de la fortune présente sans cesse des scènes nouvelles, le génie de la nation, diverti par la variété des objets, ne prend aucune assiette fixe. Il faut donc que, dans les monarchies, les établissements qui doivent braver la vicissitude des siècles, aient des racines si profondes, qu'on ne puisse les arracher, sans ébranler en même temps les plus solides fondements du trône.
Mais la fragilité et l'instabilité sont inséparables des ouvrages des hommes; les révolutions que les monarchies et les républiques éprouvent, ont leurs causes dans les lois immuables de la nature : il faut que les passions humaines servent de ressorts, pour amener et mouvoir sans cesse de nouvelles décorations sur ce grand théâtre; que la fureur audacieuse des uns enlève ce que la faiblesse des autres ne peut défendre; que des ambitieux renversent des républiques; et que l'artifice triomphe quelquefois de la simplicité. Sans ces grands bouleversements dont nous venons de parler, l'univers resterait sans cesse le même; il n'y aurait point d'événements nouveaux; il n'y aurait point d'égalité entre le destin des nations; quelques peuples seraient toujours civilisés et heureux, et d'autres, toujours barbares et infortunés.
Nous avons vu des monarchies naître et mourir; des peuples, de barbares qu'ils étaient, se policer et devenir le modèle des nations : ne pourrions-nous pas en conclure, que ces nations ont