<71>L'Électeur passa le Rhin à Strasbourg, et joignit Bournonville peu de jours après sa défaite : il trouva les généraux qui commandaient cette armée divisés et animés les uns contre les autres, et plus occupés à se nuire qu'à vaincre les ennemis.

Depuis la jonction des Brandebourgeois, l'armée impériale était forte de plus de cinquante mille hommes; l'Électeur, qui cherchait la gloire et qui voulait combattre, pressa Bournonville d'y consentir, mais vainement. L'armée prit le camp de Kochersberg; les Brandebourgeois s'emparèrent du petit château de Wasselnheim; et Turenne, qui méditait un plus grand coup, repassa la Sarre et se retira en Lorraine.

Ainsi se perdit infructueusement cette campagne, où les troupes de l'Empire, manquant de profiter de leur supériorité, laissèrent à leurs ennemis le temps et les moyens de leur porter les coups les plus dangereux. L'Électeur établit ses quartiers depuis Colmar jusqu'à Masmünster, et les Impériaux bloquèrent Brisach.

Turenne était toujours bien fort vis-à-vis d'une armée où régnait la discorde. Il reçut un secours de dix mille hommes de l'armée de Flandre; après avoir reculé comme Fabius, il avança comme Annibal.

L'Électeur avait prévu ce qui devait arriver, et il avait conseillé à Bournonville, à différentes reprises, de resserrer ses quartiers éparpillés. Bournonville était confiant; la retraite des Français l'endormait dans une sécurité dont on ne put pas le faire sortir; il ne voulut jamais consentir à rapprocher ses quartiers. Cependant Turenne passe les défilés de Thann et de Belfort, pénètre dans les quartiers des Impériaux, en enlève deux, fait prisonnier un régiment des dragons brandebourgeois,20 bat Bournonville dans le Sundgau auprès de Mühlhausen, et poursuit ce général, qui se joint en hâte à l'Électeur, qui avait assemblé ses troupes à Colmar. Turenne arrive, il présente sa première ligne vis-à-vis du front de ce camp, qui était inattaquable, et le tourne avec la seconde. L'Électeur, posté dans un terrain serré, pris en flanc par Turenne, et contrarié par Bournonville, décampa pendant la nuit, et repassa le Rhin à Strasbourg. Les Impériaux levèrent le siége de Brisach, et les Français devinrent les maîtres


20 Régiment de Spar [Spaen].