<76>sous prétexte que celui de l'Électeur était ombrageux; et à peine ce fidèle domestique l'eut-il monté quelques moments, qu'il fut tué, et sauva ainsi par sa mort la vie à l'Électeur.
Ce prince, qui n'avait point d'infanterie, ne put ni forcer le pont de Fehrbellin, ni poursuivre l'ennemi dans sa fuite; il se contenta d'établir son camp sur ce champ de bataille où il avait acquis tant de gloire; il pardonna au prince de Hombourg d'avoir exposé avec tant de légèreté la fortune de tout l'État, en lui disant : « Si je vous jugeais selon la rigueur des lois militaires, vous auriez mérité de perdre la vie; mais à Dieu ne plaise que je ternisse l'éclat d'un jour aussi heureux, en répandant le sang d'un prince qui a été un des principaux instruments de ma victoire! »
Les Suédois perdirent, dans cette journée aussi célèbre que décisive, deux étendards, huit drapeaux, huit canons, trois mille hommes, et grand nombre d'officiers.
Derfflinger arriva avec l'infanterie, les poursuivit le lendemain, fit beaucoup de prisonniers, et reprit, avec leur bagage, une partie du butin qu'ils avaient fait dans les Marches de Brandebourg. L'armée suédoise, qui était fondue et réduite à quatre mille combattants, se retira par Ruppin et Wittstock, dans le duché de Mecklenbourg.
Peu de capitaines ont pu se vanter d'avoir fait une campagne pareille à celle de Fehrbellin. L'Électeur forme un projet aussi grand que hardi, et l'exécute avec une rapidité étonnante : il enlève un quartier des Suédois, lorsque l'Europe le croyait encore en Franconie; il vole aux plaines de Fehrbellin, où les ennemis s'assemblaient; il rétablit un combat engagé avec plus de courage que de prudence; et, avec un corps de cavalerie inférieur et harassé des fatigues d'une longue marche, il parvient à battre une infanterie nombreuse et respectable, qui avait subjugué par sa valeur l'Empire et la Pologne : par l'habileté de sa conduite, il laisse à juger ce qu'il aurait fait, s'il avait été le maître d'agir en Alsace selon sa volonté. Cette expédition, aussi brillante que valeureuse, mérite qu'on lui applique le Veni, vidi, vici, de César. Il fut loué par ses ennemis, béni par ses sujets; et sa postérité date de cette fameuse journée, le point d'élévation où la maison de Brandebourg est parvenue dans la suite.