<87>L'Électeur avait des prétentions sur les duchés de Jägerndorf, Ratibor, Oppeln, Brieg, Wohlau et Liegnitz, situés en Silésie : ces duchés lui étaient dévolus en toute justice par des traités de confraternité faits avec les princes qui les avaient possédés, et confirmés par les rois de Bohême. Il se flatta d'avoir trouvé une conjoncture favorable pour demander à l'Empereur qu'il fît justice à ses prétentions, et il sollicita en même temps l'investiture de Magdebourg. Léopold, qui ne connaissait de droits que les siens, de prétentions que celles de la maison d'Autriche, et de justice que sa fierté, accorda ce qu'il ne pouvait pas refuser, c'est-à-dire l'investiture du duché de Magdebourg. Il fit une tentative pour obtenir deux mille hommes de troupes brandebourgeoises, qu'il voulait faire servir dans la guerre contre les Turcs; mais l'Électeur était trop mécontent de lui, pour les lui accorder : deux mille Brandebourgeois se joignirent aux troupes de Sobieski, et aidèrent les Polonais à repousser les Turcs qui les attaquaient.

Tous les événements semblaient concourir aux avantages de l'Électeur. Louis XIV dont la politique avait protégé les protestants d'Allemagne contre l'Empereur, persécuta ceux de son royaume qui étaient inquiets et remuants, et il troubla la France par la révocation du fameux édit de Nantes. Il se fit une émigration dont on n'avait guère vu d'exemples dans l'histoire : un peuple entier sortit du royaume par esprit de parti, en haine du pape, et pour recevoir sous un autre ciel la communion sous les deux espèces. Quatre cent mille âmes s'expatrièrent ainsi et abandonnèrent tous leurs biens, pour détonner dans d'autres temples les vieux psaumes de Clément Marot; beaucoup enrichirent l'Angleterre et la Hollande de leur industrie; vingt mille Français s'établirent dans les États de l'Électeur. Leur nombre répara en partie le dépeuplement causé par la guerre de trente ans. Frédéric-Guillaume les reçut avec la compassion qu'on doit aux malheureux, et avec la générosité d'un prince qui encourage les possesseurs d'arts utiles à ses peuples. Cette colonie prospéra toujours, et récompensa son bienfaiteur de sa protection; l'électorat de Brandebourg puisa depuis dans son propre sein une infinité de marchandises qu'auparavant il avait été obligé d'acheter de l'étranger.