<88>Frédéric-Guillaume s'aperçut que sa piété le brouillerait avec Louis XIV; et comme on regardait en France de mauvais œil l'asile qu'il avait accordé aux réfugiés, il contracta de nouvelles liaisons avec l'Empereur, et lui envoya, sous la conduite du général Schöning, huit mille hommes, pour s'en servir contre les Turcs en Hongrie. Ces troupes eurent grande part à la prise de Bude; elles acquirent une réputation distinguée à l'assaut général de cette ville, où elles entrèrent des premières. L'Empereur leur refusa cependant, après cette campagne, des quartiers en Silésie, et elles retournèrent hiverner dans la Marche de Brandebourg. En récompense de ce service, l'Empereur céda ensuite le cercle de Schwiebus à l'Électeur, en forme de dédommagement de ses justes prétentions.

Le refuge des Français à Berlin et les secours que l'Électeur avait accordés à l'Empereur, achevèrent d'indisposer Louis XIV contre lui, et il refusa de lui continuer le subside annuel qu'il lui payait depuis la paix de Saint-Germain.

Cependant Louis XIV violait ouvertement la trêve qu'il avait conclue avec l'Empereur, sous prétexte de remplir l'esprit du traité de Nimègue : il s'emparait d'un grand nombre de places de la Flandre; il prit Trèves, et en fit raser les ouvrages; et l'on travaillait à force à relever les fortifications de Huningue; il soutenait les prétentions de Charlotte, princesse palatine, épouse du duc d'Orléans, sur quelques bailliages du Palatinat, droits auxquels elle avait renoncé par son contrat de mariage. Un voisin aussi entreprenant donna enfin l'alarme à l'Allemagne; et les cercles de Souabe, de Franconie et du Bas-Rhin firent une alliance à Augsbourg, pour se garantir des entreprises continuelles que formait l'ambition de ce monarque.

Tant de sujets de plaintes ne purent exciter l'Empereur à s'en faire raison : la guerre des Turcs rendait Léopold circonspect, et le gouvernement faible d'Espagne ne sortait point de sa léthargie. Nous verrons cependant, dans la suite, que l'élection du prince de Fürstenberg, que le chapitre de Cologne fit par les intrigues de la France, obligea enfin l'Empereur de rompre avec un voisin dont les entreprises ne gardaient aucunes mesures, et qui ne connaissait aucunes bornes à sa puissance.