<106>L'aiguille, en vous marquant le moment qui s'élance,
Aidé du carillon dont le bruit retentit,
Du matin jusqu'au soir, comte, vous avertit
De la fin de vos jours dont le terme s'avance,
Et de ce temps perdu par votre nonchalance?
Mais tout est préparé, votre jeu vous attend,
Votre front s'éclaircit, votre cœur est content;
En vain l'obscure nuit baisse ses sombres voiles,
L'industrie a pour vous inventé des étoiles
Qui de votre salon chassent l'obscurité,
Et ravissent les yeux par leur vive clarté;
Ici d'un jeu nouveau l'amusement s'apprête,
Vous comptez sur le sort qui règne à la comète.a
Ces cartons par Müller7 timbrés, bariolés,
Sont par vos doigts adroits rapidement mêlés,
Et leurs combinaisons, que le hasard amène,
Règlent de votre jeu la fortune incertaine;
Ces louis, ces ducats entassés en monceaux
Vont passer tour à tour à des maîtres nouveaux.
Mais d'où vous vient cet or, ce métal pur et rare?
Qu'importe, dites-vous, quel climat le prépare?
On ne l'a point creusé dans ces monts sourcilleux
Qui non loin de Goslar s'élèvent jusqu'aux cieux;
Leur stérile tribut, dont on se glorifie,
N'enrichira jamais la vide Westphalie.
Ah! cher comte, apprenez, à votre étonnement,
Les prodiges qu'on doit au pouvoir de l'aimant :
De ses propriétés la vertu découverte
Aux sciences montra plus d'une route ouverte,
L'art à ses vérités joignit l'invention,
Le fer obéissant connut l'attraction,
Et, frotté par l'aimant, on vit l'aiguille habile
Vers le pôle tourner sur son pivot mobile.
7 Chargé de timbrer les cartes.
a La comète, jeu de cartes à la mode dans ce temps-là. Voyez Encyclopédie méthodique. Dictionnaire des jeux, faisant suite au Tome III des Mathématiques. A Paris, 1792, in-4, p. 33-38.