<114>Qui nagent dans le vide autour de leurs soleils,
Supérieurs au nôtre ou du moins ses pareils.
Des plus puissants États examinons l'histoire.
J'y vois de grands revers à côté de leur gloire :
La Grèce, jadis libre, esclave des Romains;
La maîtresse des mers et des champs africains,
Par Scipion conquise, abattue et rasée;
Par les Huns et les Goths je vois Rome embrasée;
Ici, tout un pays submergé par les flots,
Là, Marseille livrée aux fureurs d'Atropos;a
Tant de vastes États, tant d'immenses colosses,
Ébranlés et détruits par des peuples féroces :
De la vicissitude ils se ressentent tous.
Vous voyez donc que Dieu ne descend point à nous.
Insensible aux fléaux qui ravagent le monde,
Nous n'occupons jamais sa sagesse profonde,
Il voit tout dans le grand où l'homme est englouti.
Oui, dans l'immensité l'homme est anéanti,
Oui, cette vérité, qui blesse une âme vaine,
Par les événements paraît claire et certaine.
Lorsque l'astre des jours, qui règle les saisons,
De ses rayons ardents vient brûler nos moissons,
Et que les cieux d'airain, qu'à grands cris on implore,
Refusent aux mortels jusqu'aux pleurs de l'aurore,
L'État prévoit sa perte, il va manquer de pain;
Le besoin, la pâleur, la misère, la faim,
L'horreur, le désespoir et la mort implacable
Font dans tout le royaume un ravage effroyable.
Si Dieu daignait veiller sur nos faibles destins,
A ces calamités donnerait-il les mains?
Verrait-il de sang-froid le démon de la guerre
Voler d'un pôle à l'autre, en détruisant la terre,
Ces crimes, ces fureurs, ces pays ravagés,
Ces massacres affreux de mortels égorgés,
Tous ces combats sanglants qui nous ensevelissent,
Ces générations qui par le fer périssent?
a Allusion à la peste de 1720.