<123>Toi qui du vieux Nestor désires les années,
Peins-toi dans ce vieillard les tristes destinées
Qu'en t'accordant ses jours le ciel te préparait :
Il n'a plus de plaisirs, son bonheur disparaît,
Il vit dans les dégoûts; l'âge, la maladie
Ronge insensiblement la trame de sa vie,
De sa faible raison consume le flambeau,
Et par de longs tourments le conduit au tombeau.
Approche, vieux Crésus, mécontent imbécile,
Possesseur malheureux d'une femme stérile,
Vois-tu chez ton voisin ce fils tant désiré?
C'est un lâche, un ingrat, un fils dénaturé.
Misanthrope absorbé dans tes frayeurs sinistres,
Au lieu d'un Bestusheff, vois deux nouveaux ministres
Plus fiers, plus corrompus et plus entreprenants.
Ah! modérez, mortels, vos désirs violents.
Un ciel toujours serein, un bonheur sans mélange
Était-il fait pour vous, qui rampez dans la fange?
Rien ne vous était dû, j'ai beaucoup fait pour vous;
Ingrats à mes bienfaits, redoutez mon courroux. »
Il dit, et dans l'instant, à ses accents terribles,
Le palais et le dieu devinrent invisibles,
Et ce peuple à projets, détrompé de ses vœux,
Dit en se résignant : Laissons agir les cieux.
Qu'est-ce que nos souhaits? Des plaintes insensées,
D'inutiles regrets, de frivoles pensées,
Des songes turbulents d'un sommeil agité,
Et l'éternel dégoût d'un bien qu'on a goûté.
Notre sort est marqué, l'homme déraisonnable
Veut changer à son gré son arrêt immuable;
Tandis que Jupiter de deux vases égaux
Verse sur les humains et les biens et les maux.
Mortel extravagant, fragile créature,
Prétends-tu renverser l'ordre de la nature
Et jouir d'un bonheur toujours pur et parfait?
Dis-moi, qui t'a promis cet étrange bienfait?