<125>« Passe que le vulgaire éprouve des hasards,
Mais les gens tels que moi méritent des égards, »
Disait un certain homme ennuyé de l'attente
Du bien qu'il espérait par la mort de sa tante.
Varus est mécontent, il ne sait pas pourquoi,
Mais son chagrin le ronge et lui donne la loi.
Si Plancus fait des vœux, c'est que Plancus s'ennuie;
Il veut des nouveautés qui dissipent sa vie.
Galba, devenu prince, est las de son bonheur,
Il n'a plus de repos qu'il ne soit électeur;
Mais à peine l'est-il, que sa folie extrême
Veut décorer son iront du sacré diadème,
Et mécontent bientôt de cette dignité,
Il envie aux Césars leur vaine majesté;
Ses vœux vont en croissant, il est incorrigible :
Oui, rendre heureux un fou, c'est une œuvre impossible.
O le sage discours que le vieux Cinéas
Fit au bouillant Pyrrhus, qui ne l'écouta pas!
« Quittez ces vains projets dont votre esprit s'enivre,
Apprenez à jouir, c'est apprendre à bien vivre. »a
Je suis de son avis, ici-bas tout mortel
Doit jouir du présent, c'est le seul bien réel.
Le temps qui fuit toujours emporte nos années,
En dévorant sans fin nos frêles destinées;
Il s'échappe, il s'envole, et ne revient jamais,
Et notre esprit chagrin, dans ses sombres accès,
Quand le bonheur présent lui pèse et l'importune,
De l'avenir qu'il craint se fait une infortune.
Mais ce triste avenir que l'on veut pénétrer,
Les favorables dieux nous le font ignorer.
Si l'homme était instruit au jour de sa naissance
Des desseins qu'a sur lui la sage Providence,
L'un, prévoyant ses maux, deviendrait furieux,
L'autre, sûr de ses biens, serait trop tôt las d'eux,


a Voyez t. VIII, p. 23, et ci-dessus, p. 23; voyez aussi Boileau, Epître I, v. 61-86.