<154>Ces mortels adorés dont l'âme magnanime
Servit le genre humain sans briguer son estime,
Qui de tant de bienfaits, d'utiles changements,
Laissèrent après eux d'illustres monuments,
Ces demi-dieux sur terre, avec un esprit ferme,
Voulaient obstinément arriver à leur terme :
La volonté peut tout; qui ne veut qu'à demi
Sort du sommeil, se lève, et retombe endormi.
En tous lieux, en tout genre on voit des gens habiles;
Bien peu d'un si grand nombre ont passé pour utiles,
S'ils n'ont point travaillé pour leur bien mutuel;
La paresse, l'ennui, l'intérêt personnel,
Ont fait évanouir dans leurs âmes communes
Des désirs vertueux dignes de leurs fortunes.
Et qu'importea en effet à la société
Qu'un ministre absorbé dans la prospérité,
Ayant, sans être roi, la puissance suprême,
Pour le bien de l'État trouve un nouveau système,
Si, quittant ce dessein, distrait par cent objets.
Il n'exécute point ses louables projets?
L'un préfère aux travaux les plaisirs de la vie,
L'autre craint en secret de réveiller l'envie,
Et d'entendre crier contre le novateur
Ce peuple, de l'usage aveugle sectateur,
Patron des vieux abus, insensible aux services,
Qui compte les bienfaits pour autant d'injustices;
Un autre dans son cœur des biens sent les attraits,
Immole ses devoirs à de vils intérêts,
Capable de servir l'État et la couronne,
Il ne voit, ne connaît, n'aime que sa personne.
Ces indignes mortels, qui tolèrent nos maux,
Laissent nos lois, nos mœurs et tout dans le chaos;
C'est un plaisir divin de pouvoir tirer l'ordre
De la confusion et du sein du désordre;
Mais quelque sort malin, par des moyens secrets,
Retarde et bien souvent enchaîne nos progrès,
a Eh! qu'importe. (Variante de l'édition in-4. de 1760, p. 237.)