<156>Ce monstre dont Moscou sent le bras redoutable,
Qui tient un peuple entier sur sa frontière armé,
Et se complaît à voir tout le Nord alarmé.
Tandis que ses complots bravent notre constance,
Que l'Europe en courroux souffre son insolence,
De la fertile Ukraine il voit les champs déserts,
Les vaisseaux à Riga dévorés par les vers,
Les arts abandonnés, l'industrie expirante,
L'antique barbarie à la cour renaissante,
Tous les travaux du Czar pencher vers leur déclin.
Quel abus, cher ami, du pouvoir souverain!
Quelle utile leçon aux ministres, aux princes
Qui, loin de s'occuper du bien de leurs provinces,
Puissants pour leurs voisins, misérables chez eux,
Ont le cœur dévoré de soins ambitieux!
aEt quoique leur pays soit beaucoup moins barbare
Que ce repaire d'ours, image du Ténare,
Il n'est aucun État, si policé qu'il soit,
Où pour le bien public la réforme n'ait droit,
Où l'usage et la loi l'un à l'autre contraires
N'offensent du bon sens les préceptes sévères.
« De ces difficultés on sent les embarras,
Mais pourquoi, dites-vous, ne les lève-t-on pas? »
Sachez comme en effet le monde se gouverne :
Ceux devant qui le peuple en tremblant se prosterne,
Élevés dans la pompe et dans l'oisiveté,
D'un ouvrage suivi redoutent l'âpreté;


a

Ou qui, voluptueux, plongés dans l'indolence,
En d'indignes mortels ont mis leur confiance.

(Variante de l'édition in-4 de 1760. p. 240.)