<169>Pressé de visiter ses serrures, ses huis,
Et de compter tout seul ses sacs pleins de louis.
Vous savez qu'au spectacle un certain fils d'Euclide
S'avisa d'égayer son cerveau trop aride;
Sans entendre, sans voir et même sans parler,
Il se mit, en rêvant, d'abord à calculer
Les effets de la voix, l'espace de la salle,
Le théâtre, l'optique et le grand cintre ovale;
Cela fait, ne trouvant rien de touchant pour lui,
Et se sentant glacé de dégoût et d'ennui,
Sans qu'il eût vu finir un acte (est-il croyable?),
Il sortit brusquement, donnant le tout au diable.a
Quel feu n'anime point toutes nos actions
Lorsqu'on nous voit servir nos propres passions!
Mais nous sommes glacés pour les plaisirs des autres.
Si notre instinct nous force à préférer les nôtres,
Tolérons dans chacun ses propres sentiments :
Comme les traits de l'homme, ils sont tous différents.
Oui, bénissons plutôt la sage Providence,
Qui, suffisant à tout avec tant d'abondance,
Ayant à l'infini varié tous nos goûts,
Pourvoit en même temps à les contenter tous;
Sans quoi ces doux plaisirs, seuls charmes de ce monde,
Seraient pour les humains une source féconde
De jalouses fureurs, de démêlés cruels;
On verrait à la fin les malheureux mortels
Pour satisfaire un goût ensanglanter la terre,
Et le plaisir ferait le sujet de la guerre.
Pensez-vous donc qu'il faut aux hommes fainéants
Des plaisirs merveilleux pour chatouiller leurs sens?
Que, manquant de spectacle ou de feux d'artifice,
Ils ont droit d'accuser le destin d'injustice?
La nature attentive en tout temps a voulu
Suffire à nos besoins et même au superflu :
Elle transforme au sein des misères humaines
En désirs les besoins, en voluptés les peines;
a Voyez t. IX, p. 74.