<171>Tels sont les doux plaisirs d'une vie innocente.
Si leur simplicité vous paraît moins brillante
Que vos fêtes, vos jeux, où tout est cadencé,
Sachez qu'étant unis ils n'ont jamais lassé;
Ils sont comme un ruisseau qui voit couler sans peine
Son onde de cristal sur l'argentine arène;
Il embellit les prés, en les rendant féconds,
Il ne se vante point de ses superbes ponts,
Et sans avoir l'honneur qu'ont les grandes rivières
De porter des bateaux décorés de bannières
Et de laver les murs des plus grandes cités,
Où par nos bons Germains leurs flots sont insultés,
Sa course moins gênée en est bien plus égale.
Goûtez de ces plaisirs qu'enseigne ma morale,
Les remords dévorants ne les suivent jamais,
On en jouit sans trouble, on les prend sans excès,
On y revient toujours lorsqu'on est las des vôtres.
Dans tout âge nos goûts sont succédés par d'autres :
Le printemps nous soumet à l'inconstant amour,
La gloire, en notre été, sur nous règne à son tour,
Dans l'automne souvent l'intérêt en ordonne,
Et l'hiver de nos jours se plaint, gronde, raisonne.a
Des visages ridés, des cheveux blanchissants
Sont honteux d'arborer tous vos déguisements,
Dans la décrépitude il siérait bien sans doute
D'endosser sans désirs le masque et la bahoute;b
L'amour n'a plus pour eux ni flèches ni carquois,
Et la caducité n'en reçoit plus de lois;
L'amour aux cœurs glacés paraît une folie,
En les abandonnant, l'amour les humilie,
Ils blasphèment les dieux qu'ils avaient adorés,
Ils ne sont qu'impuissants et non pas modérés.
Sans passions, adieu vos galantes merveilles :
a Gronde et raisonne. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 260.)
b Espèce de manteau ou de voile recouvrant la tète, la figure et les mains, dont les femmes t'ont usage en Italie dans les mascarades du carnaval, et qu'on appelle en italien bautta.