<182>Et d'un principe admis tirant la conséquence,
Il guide à la raison et mène à la prudence;
La nature voulut que ses puissants ressorts
Fussent et le moteur et l'âme de nos corps.
Mais cet esprit vanté, divin par son essence,
N'aura jamais chez moi l'injuste préférence
Sur un cœur simple et pur, fidèle à son devoir.
Ayez de la mémoire, ayez un grand savoir,
Soyez spirituel, plaisant, profond, sublime,
Ce n'en est pas assez, je veux qu'on vous estime;
Mon suffrage, en un mot, n'est dû qu'à la vertu.
Sans vertu, tout esprit est mal fait et tortu :
Elle fait l'ornement et la base de l'homme.
Sectateur de Genève ou sectateur de Rome,
Soyez bon citoyen, et mon cœur vous chérit;
Charmé de vos vertus plus que de votre esprit,
Vous m'inspirez alors une amitié sincère.
L'esprit n'altère point le fond du caractère :
Cet auteur tant noté,20 détesté des Français,
Qui contre le Régent décocha tant de traits,
Et couvrit des attraits d'une douce harmonie
L'assassinat affreux que fit sa calomnie,
Avec quelques talents avait tant de noirceur,
Qu'en tolérant ses vers, on abhorrait son cœur.
Avec beaucoup d'esprit on peut être perfide,
Trompeur, fripon, brigand, scélérat, parricide.
Cromwell, qui chez l'Anglais fit respecter ses lois,
Qui du trône sanglant précipita ses rois,
Cromwell, ce fourbe heureux, sans qu'il daignât paraître,
Fit sur un échafaud exécuter son maître;
Vainqueur dans les combats, il soumit ses égaux :
Cromwell eut quelques traits qui forment les héros.
Un esprit malfaisant, toujours enclin à nuire,
Séduisant quelquefois, ne peut toujours séduire;
Souvent il éblouit par des dehors brillants,
Mais lorsqu'on les connaît, on hait tous les méchants;
20 La Grange. [Voyez t. VII, p. 60.]