<197>Vous ne sauriez heurter ce trône inébranlable.
Dieu voudrait-il punir qui ne peut l'offenser?
Un dieu sans passions peut-il se courroucer?
Je connais ses bienfaits, sa bonté, sa clémence;
Qui le dépeint barbare est le seul qui l'offense.
Ah! cette âme, cher Keith, qu'on ne peut définir,
Et qu'après notre mort un tyran doit punir,
Ce nous qui n'est pas nous, cet être chimérique
Disparaît aux flambeaux que porte la physique.
Que le peuple hébété respecte ce roman;
Regardons d'un œil ferme et l'être et le néant.
J'implore ton secours, ô divine Uranie!
Accorde à ma raison les ailes du génie,
Montre-moi la nature au feu de tes clartés :
Heureux qui peut connaître et voir tes vérités!
Déjà l'expérience entr'ouvre la barrière,
Je vois Lucrèce et Locke au bout de la carrière;
Venez, suivons leurs pas, et montrons aux humains
Leur nature, leur être, et quels sont leurs destins;
Examinons l'esprit depuis son origine,
Pendant tous ses progrès, jusqu'à notre ruine :
Il naît, se développe et croît avec nos sens,
Il éprouve avec eux différents changements;
Ainsi que notre corps, débile dans l'enfance,
Étourdi, plein de feu dans notre adolescence,
Abattu par les maux et fort dans la santé,
Il baisse, il s'affaiblit dans la caducité,
Il périt avec nous, son destin est le même.
Mais l'âme, qu'on nous dit de nature suprême,
Quoi! cet être immortel, presque l'égal des dieux,
Quitterait-il pour nous l'heureux séjour des cieux?
Daignerait-il s'unir à ce corps peu durable,
A la matière ingrate, abjecte et périssable,
Épier les moments des plaisirs de Vénus,
Se tenir en vedette, animer le fœtus,
Et s'enfermer neuf mois dans le sein de la mère,
Dans un cachot obscur prisonnier volontaire,