<201>Malgré tant de dangers, tu désires la vie :
Le bien de tes parents, leur amour t'y convie,
Ta fin serait pour eux un lamentable deuil,
Tes affaires un temps ont besoin de ton œil;
Ah! que de grands projets ta mort viendrait suspendre!
Tu n'as rien achevé, que ne peut-elle attendre?
Eh! pourquoi, malheureux, ne t'es-tu point hâté?
Croyais-tu donc jouir de l'immortalité?
Apprends que nos désirs nous suivent en tout âge,
Et que personne enfin n'acheva son ouvrage
Avant que d'arriver à son terme fatal.
Ou plus tôt ou plus tard, le trépas est égal :
Tous les temps écoulés sont effacés de l'être,
Cent ans passés sont moins que l'instant qui va naître,
Tout change, et c'est, cher Keith, la loi de l'univers.
Les fleuves orgueilleux renouvellent les mers,
On engraisse la terre, aride sans culture;
Lorsque l'air s'épaissit, un zéphire l'épure,
Ces globes enflammés qui parcourent les cieux
De l'astre des saisons renouvellent les feux.
La nature, attentive et de son bien avare,
Fait des pertes toujours, et toujours les répare;
Depuis les éléments jusques aux végétaux,
Tout change, et reproduit quelques objets nouveaux;
La matière est durable et se métamorphose,
Mais si l'ordre l'unit, le temps la décompose.
Le ciel pour peu de temps nous a prêté le jour,
Mais tout doit s'animer, tout doit avoir son tour;
Sommes-nous malheureux, si la Parque infidèle
Ne fila pas pour nous les jours de Fontenelle?a
Serait-ce donc à nous à redouter la mort?
A nous, pauvres humains, frêles jouets du sort,
Qui rampons dans la fange, et dont l'esprit frivole,
S'il ne possédait point le don de la parole,
Serait égal en tout à ceux des animaux?
Ah! voyons dans la mort la fin de tous nos maux :


a Voyez t. VIII, p. 55.