ÉPITRE XX. A MON ESPRIT.a
Écoutez, mon esprit, je ne saurais le taire,
Les contes que sur vous tous les jours j'entends faire,
Vos défauts, vos travers m'ont mis au désespoir;
Quoi! vous étudiez du matin jusqu'au soir?
D'un violent désir suivant l'intempérance,
Vous faites le savant? Ah! quelle extravagance!
En feuilletant sans cesse un auteur vermoulu
Qui lassa les Achards,b et qu'aucun roi n'a lu,
Vous voulez, imitant les Huets, les Saumaises,
Vous remplir le cerveau de leurs doctes fadaises?
O ciel! un roi savant! ce mot me fait frémir :
Jamais dessein plus fou pouvait-il vous venir?
Qu'un roi sache arrêter un calcul de finance,
Parafer un traité, signer une ordonnance,
C'est beaucoup dans le siècle où l'on vit aujourd'hui;
Peut-on en conscience exiger plus de lui?
a C'est la IXe satire de Boileau qui paraît avoir donné au Roi l'idée de composer cette Épître. L'ouvrage du poëte français est destiné à faire son apologie et en même temps à lancer à ses détracteurs, ainsi qu'aux mauvais poëtes, des traits encore plus acérés que ceux des précédentes satires. Il commence par ces vers bien connus :
C'est à vous, mon esprit, à qui je veux parler,
Vous avez des défauts que je ne puis celer, etc.
b Antoine Achard, né à Genève en 1696, et pasteur de l'église française de Berlin depuis 1734, mourut dans cette dernière ville le 2 mai 1772.