<221>Si vous pouvez percer la sombre nuit des temps,
Ou si quelque hasard vous amène au grand monde,
Quel était cet auteur dont la muse féconde
Monta sur l'Hélicon sur les pas du plaisir,
Et composa des vers pour charmer son loisir.
Dites que mon berceau fut environné d'armes,
Que je fus élevé dans le sein des alarmes,
Dans le milieu des camps, sans faste et sans grandeur,a
Par un père sévère et rigide censeur;
Que je lus écolier des plus grands capitaines;
Qu'à Sparte cultivant les douces mœurs d'Athènes,
Je fus ami des arts plutôt que vrai savant,
Et que sans écouter un orgueil décevant,
Et simple courtisan des filles de Mémoire,
Je n'aspirai jamais à la sublime gloire
D'être le plus fêté parmi leurs nourrissons;
Que sachant me borner et rabaisser mes sons,
Je me suis contenté de peindre ma pensée
Et de parler raison en prose cadencée.
Dites que j'ai subi, bravé l'adversité,
Mais que parmi les rois, depuis, on m'a compté;
Attestez hardiment que la philosophie
A dirigé mes pas et réformé ma vie;
Dites qu'en admirant le système des cieux,
J'ai préféré ma lyre aux arts fastidieux;
Que, sans haïr Zénon, j'estimais Épicure,
Et pratiquais les lois de la simple nature;
Que je sus distinguer l'homme du souverain;
Que je fus roi sévère et citoyen humain :
Mais, quoiqu'admirateur de César et d'Alcide,
J'aurais suivi par goût les vertus d'Aristide.
Lorsque la Parque enfin, lasse de ses fuseaux,
Terminera mes jours d'un coup de ses ciseaux,
Que sur ma cendre éteinte aboiera la satire,
Dites que, méprisant tout ce que pourra dire
Un esprit irrité, chagrin, mal fait, tortu,
a Sans faste, sans grandeur. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 346.)