<28>La Discorde barbare, encor toute sanglante,
Secouant ses flambeaux, excitant ses serpents,
De l'antique chaos sombre et farouche amante,
Ébranle la nature et poursuit les vivants;
Elle guide leurs pas d'abîmes en abîmes,
Le désespoir, la mort, la trahison, les crimes,
Complices et vengeurs de ses cruels forfaits,
Couvrent la terre de cyprès.
Quel transport inouï, quel nouveau feu m'anime!
Un dieu subitement s'empare de mes sens,
Apollon me possède, et son esprit sublime
Va prêter à ma voix ses immortels accents :
Que l'univers se taise aux accords de ma lyre;
Rois, peuples, écoutez ce que je dois vous dire,
Apaisez les transports de vos sens agités,
Pour recevoir ces vérités.a
Vous, juges des humains, vous, nés dieux de la terre,
Oppresseurs orgueilleux de ce triste univers,
Si vos bras menaçants sont armés du tonnerre,
Si vous tenez captifs ces peuples dans vos fers,
Modérez la rigueur d'un pouvoir arbitraire;
Ces humains sont vos fils, ayez un cœur de père :
Ces glaives enfoncés dans leur malheureux flanc
Sont teints de votre propre sang.
a J.-B. Rousseau commence ainsi son ode tirée du psaume XLVIII, Sur l'aveuglement des hommes du siècle :
Qu'aux accents de ma voix la terre se réveille.
Rois, soyez attentifs; peuples, ouvrez l'oreille :
Que l'univers se taise, et m'écoute parler.
Mes chants vont seconder les accords de ma lyre :
L'esprit saint me pénètre, il m'échauffe, et m'inspire
Les grandes vérités que je vais révéler.