<74>Dont un fameux Génois découvrit les chemins.
Mais l'aquilon s'apaise, on l'appelle, il s'embarque,
On lève l'ancre, il part plus content qu'un monarque;
Il brave les dangers, il brave les saisons,
L'été n'a plus de feux, l'hiver plus de glaçons;
Plus dur dans ses travaux que ne le fut Alcide,
Il n'est plus de péril quand l'intérêt le guide.
Un nuage orageux vient obscurcir les airs,
Les flots lancés aux cieux retombent aux enfers,
Éole se déchaîne, et pousse dans sa rage
Le vaisseau démâté sur le prochain rivage,
Et sur des ais brisés, pilotes, matelots
Se sauvent à la nage, en abjurant les flots.
Notre avare maudit cet élément perfide.
A peine est-il sauvé, que l'intérêt avide,
Sans daigner lui donner le temps de se sécher,
L'entraîne en lui disant : « Debout, il faut marcher,
Méprise des dangers la terreur importune;
Les chemins épineux sont ceux de la fortune. »
Le péril qui n'est plus est bientôt oublié.
Ce malheureux avare, à l'intérêt lié,
N'hésite qu'un moment; sa funeste habitude,
L'ardente soif de l'or, l'espoir, l'inquiétude,
Chassent de son esprit tout désir de repos,
Le sommeil sur son front voit faner ses pavots,
Et notre forcené, tout mouillé du naufrage,
Une seconde fois court affronter l'orage.
Pourra-t-il dévorer ses trésors amassés,
Ces barres, ces lingots dans sa cave entassés?
Des faux et des vrais biens vains juges que nous sommes!
Le sort plus qu'on ne pense égale tous les hommes.
A nos nécessités le ciel avait pourvu :
Quel usage Midas fait-il du superflu?
Je vois de jour en jour accroître ses misères
Par de nouveaux besoins devenus nécessaires,
Moins riche des trésors dont il sent l'embarras
Que pauvre de tous ceux qu'il ne possède pas.