<77>« Connais ton ignorance, ô rustique pasteur!
Apprends de moi, dit-il, quel est le vrai bonheur :
Tu n'es qu'un indigent, et tu crois être sobre,
Va, ta simplicité dans le fond n'est qu'opprobre.
Quoi! Damon, lâchement esclave d'un troupeau,
Abreuve ses brebis, les tond de son ciseau,
Tandis que tant d'humains vivant dans l'opulence
Ont consacré leurs jours à la molle indolence!
Ah! quel luxe charmant s'étale chez les grands!
Des palais somptueux logent ces fainéants,
Leurs promenades sont des pompes triomphales,
Leurs repas, des festins, leurs jeux, des saturnales;
Les hommes,a ici-bas aux richesses soumis,
Leur doivent leurs honneurs, leurs talents, leurs amis.
Sans argent il n'est rien que misère et bassesse,
On prône vainement la stérile sagesse;
Un esprit merveilleux, un mérite divin,
Vous laissent, sans argent, un vertueux faquin.
L'or a dans ces climats une entière puissance,
Il donne à tous vos goûts une heureuse influence :
Faut-il faire valoir des droits litigieux,
Votre cœur brûle-t-il de feux séditieux,b
Frappez d'un marteau d'or, les portes sont ouvertes,
Vos talents sont prônés, vos sottises souffertes;
De l'univers entier ce précieux métal
Est le premier mobile et le nerf principal. »
Le malheureux Damon, que l'Intérêt assiége,
Ne peut plus résister, et tombe dans le piége;
Ses moutons et Philis, objets de ses plaisirs,
Sont effacés soudain par de nouveaux désirs.
Ce champêtre séjour lui devient insipide;
Des grandeurs et des biens sentant la soif avide,
Il abandonne enfin Philis et ses brebis.
Dieu! que devîntes-vous, malheureuse Philis?
Cette amante aussitôt, demi-morte et glacée,


a Les humains. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 116.)

b D'un feu séditieux. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 116.)