<88>Des princes dont l'État contient six mille arpents
Réduisent en jardins la moitié de leurs champs,
Et pour avoir chez eux Marli, Meudon, Versailles,
Oppressent leurs sujets gémissants sous les tailles;
Dans leurs vastes palais on chercherait un jour,
Avant que d'y trouver le prince avec sa cour;
Dix hourets font leur meute, et cent gueux leur armée,
Ils sont nourris d'encens, ils vivent de fumée,
C'est le faste des rois gravé dans leurs cerveaux
Qui hâte leur ruine au fond de leurs châteaux.
Hélas! pour gouverner leurs petites provinces,
Fallait-il voyager et voir tant d'autres princes,
Enfler leur vanité, se rendre malheureux?
Qu'on eût fait sagement de les garder chez eux!
Ces exemples récents ne corrigent personne,
La coutume se suit, soit mauvaise, soit bonne;
L'homme est imitateur sans penser, sans juger;
Comme il voit qu'on voyage, il s'en va voyager.
Une meute dépeint les gens de cette classe,
Elle suit Farfillau, qui la mène et qui chasse;
S'il aboie, aussitôt tout aboie après lui,
Sans connaître le cerf qui devant elle a fui;
Sans savoir où ce chien par sa course les mène,
Ils jappent après lui, ne le suivant qu'à peine.
Nos gothiques aïeux, dans leur grossièreté,
Ignoraient les douceurs de la société;
Les arts qui fleurissaient en France, en Italie,
N'avaient point réchauffé la froide Germanie;
De la Seine et du Tibre ils décoraient les bords,
Le besoin demandait qu'on voyageât alors.
L'Allemagne, depuis, quittant sa barbarie,
Par les arts à son tour à la fin fut polie,
L'urbanité romaine orna toutes les cours :
Mais sans autre dessein on voyagea toujours;
Cet abus, en croissant, allant à la sottise,
Infecta nos vertus des mœurs de la Tamise.
Mais, malgré la coutume et tous ses sectateurs,