<95>Sans cesse en frénésie, ils en ont les symptômes,
Et toujours alarmés de spectres effrayants,
Ils accusent les morts des crimes des vivants.
Les superstitieux, encor plus ridicules,
Sur les absurdités n'ont jamais de scrupules.
Combien n'a-t-on pas vu d'habiles imposteurs
Du stupide public cimenter les erreurs,
Sous des mots captieux proférer des oracles,
Par des prestiges vains fabriquer des miracles!
Rassemblons tous les temps, voyons tous les pays :
De Lisbonne à Pékin, d'Archangel à Memphis,
S'en trouve-t-il un seul (je consens qu'on le nomme)
Dont le culte insensé n'ait pas dégradé l'homme?
Oui, l'homme de tout temps fut le jouet honteux
Des grossières erreurs des prêtres frauduleux;
Il a tout adoré, jusqu'à la plante vile,4
L'encens fuma jadis devant le crocodile.
O comble de forfaits! nos antiques Germains
Prodiguaient leur encens à des dieux inhumains,
L'erreur leur immolait, pour apaiser leurs haines,
Sur des autels sanglants des victimes humaines.
Du moins le monde, en paix suivant ses visions,
N'avait point combattu pour ses opinions;
Mais, depuis, les chrétiens dans leur sang se plongèrent,
Pour des dogmes nouveaux par fureur s'égorgèrent;
Défenseurs d'une foi qu'ils ne comprenaient pas,
Ces dévots assassins se portaient le trépas,
Et le monde changea pour des erreurs nouvelles
Ses antiques erreurs, sans rien gagner par elles,
Tant dans l'aveuglement le vulgaire plongé,
Ou doute par faiblesse, ou croit par préjugé!
4 L'oignon.
[On vit le peuple fou qui du Nil boit les eaux
Conjurer l'ail, l'oignon, d'être à ses vœux propices,
Et croire follement maîtres de ses destins
Ces dieux nés du fumier porté dans ses jardins.
Boileau, Satire XII, v. 95.]