<96>Mais que devient au fond cette raison si vaine,
Reine des animaux, qui fait tant la hautaine?
Je n'y vois que faiblesse et qu'imbécillité,
Le bon sens est captif de la crédulité,
Une erreur singulière est sûre de séduire,
Folard à Saint-Médard a pu nous en instruire,a
Le bon sens est voisin du transport insensé,
L'entre-deux par malheur est bien peu nuancé;
Oui, l'âme la plus forte est pleine de faiblesse,
Ce n'est qu'un bon esprit qui voit sa petitesse.
Les hommes doivent tout aux organes des sens,
Leur ministère instruit les esprits impuissants;
Par eux, en combinant, s'acquiert l'expérience,
C'est le seul point d'appui de leur intelligence.
Mais ne jugeant de tout que par comparaison,
Dès qu'ils sortent des sens, ils perdent leur raison;
De leur esprit borné la petite étendue
Ne peut saisir ni rendre une chose inconnue;
De tant de mots nouveaux les sons articulés
Enveloppent des riens en termes ampoulés.
De ce vaste univers atome imperceptible,
Crois-tu que l'infini devait t'être accessible?
Dans tes projets hautains il n'est point de milieu,
Tes destins sont d'un homme, et tes vœux sont d'un dieu.b
Tandis que l'aigle atteint le séjour du tonnerre,
La timide Progné vole en rasant la terre;
Ni trop haut ni trop bas prenons un vol moyen,
La prudence le règle et lui sert de soutien.
Non, ne condamnons point cet amour des sciences
Qui remplit notre esprit d'utiles connaissances;
Qu'un sage soit savant, mais loin de s'entêter,


a Vers la fin de l'année 1781, le célèbre auteur du Commentaire sur l'Histoire de Polybe eut des convulsions sur le tombeau du diacre Paris, au cimetière de Saint-Médard, à Paris. Voyez t. I, p. 241, et ci-dessus, p. 97.

b C'est Apollon qui adresse ces paroles à Phaéton, dans les Métamorphoses d'Ovide, livre II, v. 56, selon la traduction que Voltaire en donne dans le IIe Discours sur l'homme, v. 84.