<97>Qu'apprenant à connaître il apprenne à douter,a
Et que de sa raison gouvernant la faiblesse,
Dans son propre néant il puise la sagesse.
Un peu d'or pour un pauvre est un immense bien;
C'est apprendre beaucoup de voir qu'on ne sait rien.
De tous les animaux que l'univers enferme,
Chaque espèce a ses lois, ses limites, son terme;
La nature fixa par ses arrangements
Leurs domaines bornés à certains éléments.
L'homme est ainsi qu'Antée, illustré par la Fable :
Sur terre ce géant fut toujours indomptable,
Mais par Hercule un jour dans les airs élevé,
Perdant son élément il périt étouffé.
Il faut, sage d'Argens, s'enfermer dans sa sphère;
Qui pourrait respirer hors de son atmosphère,
Dans l'orbe de Mercure ou bien de Jupiter?
Le paon périt sous l'eau, le dauphin meurt à l'air.
De même notre esprit, sans tenter l'impossible,
Ne doit jamais sortir hors du monde sensible;
C'est l'orgueil, en un mot, qu'il nous faut étouffer.
L'homme est fait pour agir, non pour philosopher.a
Nos organes, d'Argens, seraient d'autre fabrique,
Si l'homme eût été fait pour la métaphysique :
Notre esprit, dégagé des terrestres liens,
Pourrait, en s'élevant aux champs aériens,
Y voir ce qu'il suppose et tout ce qu'il ignore,
Ces esprits immortels, ce Dieu que l'on adore;
Nos yeux seraient perçants, nos désirs satisfaits,
On n'aurait plus besoin de microscope anglais.
Point de problème alors, tout serait axiome,
On pourrait disséquer la monade et l'atome,
a Vous ne prouvez que trop que chercher à connaître
N'est souvent qu'apprendre à douter.
Réflexions diverses
, 1686.a Ce vers est tiré de la Satire sur l'Homme (Satire against Man), par le comte Rochester. Voltaire (Œuvres, édition Beuchot, t. XIII, p. 401, et t. XXXVII, p. 244) l'avait rendu ainsi :
L'homme est né pour agir, et tu prétends penser!