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L'ART DE LA GUERRE, POËME.[Titelblatt]

Unde prius nulli velarint tempora Musae.Lucret.,

lib. I

.<224><225>

L'ART DE LA GUERRE.

CHANT Ier.

Vous qui tiendrez un jour, par le droit de naissance,
Le sceptre de nos rois, leur glaive et leur balance,
Vous, le sang des héros, vous, l'espoir de l'État,
Jeune prince, écoutez les leçons d'un soldat
Qui, formé dans les camps, nourri dans les alarmes,
Vous appelle à la gloire et vous instruit aux armes.
Ces armes, ces chevaux, ces soldats, ces canons
Ne soutiennent pas seuls l'honneur des nations;
Apprenez leur usage, et par quelles maximes
Un guerrier peut atteindre à des exploits sublimes.
Que ma muse en ces vers vous trace les tableaux
De toutes les vertus qui forment les héros,
De leurs talents acquis et de leur vigilance,
De leur valeur active et de leur prévoyance,
Et par quel art encore un guerrier éclairé
De l'art même franchit le terme resserré.
Mais ne présumez pas que, dangereux poëte,
Entonnant des combats la funeste trompette,
Ébloui par la gloire, ivre de son erreur,
J'inspire à votre audace une aveugle fureur.
Je ne vous offre point Attila pour modèle,
Je veux un héros juste, un Tite, un Marc-Aurèle,
<226>Un Trajan, des humains et l'exemple et l'honneur,
Que la vertu couronne, ainsi que la valeur.
Tombent tous les lauriers du front de la victoire,
Plutôt que l'injustice en ternisse la gloire!
O bienfaisante paix! et vous, génie heureux
Qui sur les Prussiens veillez du haut des cieux,
Détournez de nos champs, des cités, des frontières.
Ces ravages sanglants, ces fureurs meurtrières,
Ces illustres fléaux des malheureux humains.
Si mes vœux sont reçus au temple des destins,
Consentez qu'à jamais ce florissant empire
Goûte sous votre abri le repos qu'il désire,
Que sous leurs toits heureux les laboureurs contents
Recueillent pour eux seuls les moissons de leurs champs,
Que sur son tribunal Thémis en assurance
Réprime l'injustice et venge l'innocence,
Que nos vaisseaux légers, fendant le sein des eaux.
Ne craignent d'ennemis que les vents et les flots,
Que, tenant dans ses mains l'olivier et l'égide,
Minerve sur le trône à nos conseils préside.
Mais si d'un ennemi l'orgueil ambitieux
De cette heureuse paix rompt les augustes nœuds,
Rois, peuples, armez-vous, et que le ciel propice
Soutienne votre cause et venge la justice.
C'est à toi, dieu terrible, à toi, dieu des combats,
A m'ouvrir la barrière, à conduire mes pas;
Et vous, charmantes Sœurs, déesses du Permesse,
Gouvernez de ma voix la sauvage rudesse,
Rendez d'un vieux soldat les chants mélodieux,
Accordez ma trompette au luth harmonieux.
J'entreprends de placer, par une heureuse audace,
Le dieu de la victoire au sommet du Parnasse,
Je veux armer vos fronts de casques menaçants;
Ma main ne peindra point les transports des amants,
Leurs peines, leurs plaisirs, leurs larcins, leurs caresses,
Ni des cœurs des héros les indignes faiblesses.
Que le chantre du Pont, dans ses douces erreurs,
<227>Vante le dieu charmant qui causa ses malheurs,
Qu'à ses flatteurs accents les Grâces soient sensibles :
Je ne vous offrirai que des objets terribles,
Vulcain, qui, sous l'Etna, par ses brûlants travaux,
Forge à coups redoublés les foudres des héros,
Ces foudres redoutés entre des mains habiles,
Qui tantôt font tomber les fiers remparts des villes,
Tantôt percent les rangs dans l'horreur des combats,
Et font dans tous les temps le destin des États.
Je peindrai les effets de cette arme cruelle
Qu'inventa dans Bayonne une fureur nouvelle,
Qui, du fer et du feu réunissant l'effort,
Aux yeux épouvantés offre une double mort.263-a
Au sein de la mêlée, au milieu du carnage,
On verra des héros le tranquille courage
Réparer le désordre, et, prompt dans ses desseins.
Disposer, ordonner, enchaîner les destins.
Avant que de traiter ces matières sublimes,
Il faut vous arrêter aux premières maximes.
Ainsi, quand l'aigle enseigne à ses jeunes aiglons
A diriger leur vol au champ des aquilons,
Couverts à peine encor d'une plume nouvelle,
La mère, en s'élevant, les porte sur son aile.
O vous, jeunes guerriers qui, brûlant de valeur,
Prêts à vous signaler dans les champs de l'honneur,
Vous arrachez aux bras d'une plaintive mère,
N'allez point vous flatter, novices à la guerre,
Que vous débuterez par d'immortels exploits.
Passez, sans en rougir, par les derniers emplois :
Durement exercés dans un travail pénible,
Du fusil menaçant portez le poids terrible;
Rendez votre corps souple à tous les mouvements
<228>Que le dieu des guerriers enseigne à ses enfants;
Tous fermes dans vos rangs, en silence, immobiles,
L'œil fixé sur le chef, à ses ordres dociles,
Attentifs à sa voix, s'il commande, agissez,
En mouvements égaux à l'instant exercez,
Apprenez à charger vos tubes homicides,
Avancez fièrement, à grands pas intrépides,
Sans flotter, sans ouvrir et sans rompre vos rangs,
Tirez par pelotons, en observant vos temps;
Prompts sans inquiétude, et pleins de vigilance
Aux postes dont sur vous doit rouler la défense,
Attendez le signal, et marchez sans tarder :
Qui ne sait obéir ne saura commander.
Tel, sous Louis de Bade exerçant son courage,
Finck264-25 de l'art des héros a fait l'apprentissage.
Des troupes qu'on rassemble en formidables corps
Les derniers des soldats composent les ressorts;
Ces ressorts agissants, ces membres de l'armée
D'un mouvement commun la rendent animée
C'est ainsi, pour fournir aux superbes jets d'eaux
Que Versailles renferme en ses vastes enclos,
Qu'à Marli s'éleva cette immense machine
Qui rend la Seine esclave, et sur les airs domine;
Cent pompes, cent ressorts à la fois agissants
Pressent dans des canaux les flots obéissants,
Jusqu'à la moindre roue a sa tâche marquée;
Qu'une soupape cède, ou faible ou détraquée,
La machine s'arrête, et tout l'ordre est détruit.
Ainsi, dans ces grands corps que la gloire conduit,
Que tout soit animé d'un courage docile;
La valeur qui s'égare est souvent inutile,
Des mouvements trop prompts, trop lents, trop incertains,
Font tomber les lauriers qu'avaient cueillis vos mains
Aimez donc ces détails, ils ne sont pas sans gloire,
C'est là le premier pas qui mène à la victoire;
<229>Dans des honneurs obscurs vous ne vieillirez pas,
Soldat, vous apprendrez à régir des soldats;
Bientôt, chef éclairé d'une troupe intrépide,
Marchant de grade en grade où le devoir vous guide,
Vous verrez sous vos lois un bataillon nombreux;
Présidez à sa marche et gouvernez ses feux,
Montrez-lui dans quel ordre un bataillon s'avance,
Charge, tire, recharge, et s'arrête ou s'élance
Les Prussiens nerveux, tous robustes et grands,
Vainquent leurs ennemis, combattant sur trois rangs;
Sur plus de profondeur, leurs rivaux pleins d'audace,
Résistant un moment, leur ont cédé la place.
Il faut qu'un bataillon marche d'un pas égal,
Qu'il ne prodigue point son tonnerre infernal,
Que son front hérissé, pointant la baïonnette,
Étonne l'ennemi, le force à la retraite
Il faut renouveler vos combattants altiers :
La mort aux champs de Mars moissonne les guerriers;
Pour maintenir l'honneur de ces troupes augustes,
Choisissez avec soin des hommes grands, robustes;
Mars veut que, sans quitter leurs rangs et leurs drapeaux,
Ils portent en marchant les plus pesants fardeaux;
Des corps moins vigoureux, vaincus de lassitude,
N'atteindraient pas la fin d'une campagne rude
Tels, au milieu des bois, les chênes sourcilleux
Affrontent les assauts des vents impétueux,
Tandis qu'à leurs côtés le souffle de Borée
Renverse des sapins la tige resserrée :
Tels sont ces hommes forts, ces robustes lions,
Dont il faut repeupler nos braves bataillons
Si, voulant acquérir une gloire certaine,
Vous aspirez au nom de fameux capitaine,
Des armes connaissez les emplois différents,
A les bien manier exercez vos talents.
Au combat du Lapithe il faut savoir encore
Unir cet art guerrier qu'inventa le centaure :
Apprenez à dompter la fougue des chevaux,
<230>Qu'un nouveau Pluvinel266-a vous montre leurs défauts.
Qu'ils sautent les fossés au gré de votre audace.
Accoutumez vos reins au poids de la cuirasse,
Que votre front pressé ne se plaigne jamais
Lorsque sur lui le casque a sillonné ses traits.
La valeur sans adresse est tôt ou tard trompée :
Exercez votre bras à manier l'épée :
Cette arme redoutable et prompte en ses effets
Épouvante et détruit les ennemis défaits;
Mars daigne l'approuver, il veut, dans la bataille,
Que le fer meurtrier porte des coups de taille.
N'employez point le feu, combattant à cheval.
Son vain bruit se dissipe, et ne fait point de mal.
Parez, quand il le faut, vos coursiers sur la croupe,
Apprenez dans les champs à ranger votre troupe,
Serrez vos cuirassiers, et que votre escadron,
Des autres peu distant, garde le même front.
Faites-vous enseigner par un guerrier habile
Comme en ces mouvements ce corps devient agile,
Comment en un clin d'œil, par ses conversions,
Il prend, quitte, reprend d'autres positions,
Se transporte soudain, se forme avec vitesse,
Dans des terrains divers manœuvre avec souplesse,
A l'ordre de ses chefs attentif et soumis,
Sur les ailes des vents fond sur ses ennemis,
Et de son choc serré les pousse et les renverse,
Les poursuit dans les champs, les force et les disperse
La Grèce la première a planté nos lauriers,
Sparte fut le berceau, l'école des guerriers,
Là naquirent jadis l'ordre et la discipline;
<231>La phalange aux Thébains a dû son origine;
Miltiade, Cimon, sage Épaminondas,
Vous fîtes des héros de vos moindres soldats;
L'art suppléait au nombre, et l'audace aguerrie
De l'orgueil des Persans vengea votre patrie.
O jour de Salamine! ô jour de Marathon!
C'est vous qui de la Grèce éternisez le nom.
Regardez ce héros, ce roi de Macédoine :
Il donne à ses amis ses biens, son patrimoine,
Mais riche en espérance et fier de ses vertus,
Il fond sur les Persans, il défait Darius,
Il subjugue l'Asie, et sa forte phalange
Asservit le Granique, et l'Euphrate, et le Gange
Des bords de l'Orient le formidable Mars
Dans le sénat romain porta ses étendards;
Ce peuple de guerriers amoureux des alarmes
Apprit de ce dieu même à manier les armes;
Il combattit longtemps ses belliqueux voisins,
A le favoriser il força les destins,
Étrusques et Sabins, vaincus par sa vaillance,
Gouvernés par ses lois, accrurent sa puissance
Fière de ses exploits, l'aigle des légions
Prit un vol élevé vers d'autres régions;
Rome, de ses rivaux imitatrice heureuse,
Tournant contre eux leurs traits, en fut victorieuse;
Ses camps furent changés en d'invincibles forts.
Le Danube les vit, et trembla pour ses bords.
Rome ainsi triompha du Germain-de l'Ibère,
De ce peuple farouche, habitant d'Angleterre,
De tous les arts des Grecs, des fins Carthaginois,
Des défenseurs du Pont, des grands corps des Gaulois,
Et de tous les États qui composaient le monde
Mais cette discipline, en victoires féconde,
Qui les fit arriver au point de leur grandeur,269-a
Sous les derniers Césars n'était plus en vigueur.
Alors les Goths, les Huns, les vagabonds Gépides,
<232>Moins guerriers que brigands et de pillage avides.
Ravagèrent l'empire en proie à leurs fureurs;
Vainement le Romain chercha des défenseurs,
Et ce puissant État, touchant à sa ruine,
Regretta, mais trop tard, l'antique discipline
Cet art qui se perdit, après un long déclin,
Sortit de son tombeau sous le grand Charles-Quint :
Sous ce guerrier fameux, la Castille aguerrie
Fit craindre aux nations sa brave infanterie;
L'ordre l'avait soumise à sa sévère loi,
Mais sa gloire périt dans les champs de Rocroi.269-b
Alors, d'un joug honteux rejetant l'insolence,
Exercé par Maurice à venger son offense,
Apprenant à combattre, apprenant à servir,
Le Batave fut libre en sachant obéir,
Et l'exemple imposant de ce grand capitaine
Développa bientôt les talents de Turenne;
Il apprit aux Français le grand art des héros,
Louis, ce sage roi, seconda ses travaux,
Le militaire alors eut ses lois et sa règle;
Mais Louis dans sa cour méconnut un jeune aigle,
Fils tendrement chéri de Bellone et de Mars,
Eugène, le soutien du trône des Césars.
Sous ce savant guerrier, Dessau, dans son jeune âge,
Fit de l'art des combats le dur apprentissage,
Et les dieux protecteurs des camps autrichiens
Devinrent avec lui les dieux des Prussiens
Voilà comme en tout temps l'art que je vous enseigne
A soutenu les rois, a maintenu leur règne;
Et si la discipline en est le fondement,
Si sa force soutient ce vaste bâtiment,
Jugez de sa grandeur et de son importance.
On ne peut l'acquérir que par l'expérience;
Malheur aux apprentis dont les sens égarés
<233>Veulent, sans s'appliquer, franchir tous les degrés!
Tel était Phaéton, ce jeune téméraire;
A lui prêter son char il contraignit son père,
Sans qu'il sût gouverner des coursiers si fougueux,
Sans savoir le chemin qu'ils tenaient dans les cieux.
Du char de la lumière il prit en mains les rênes;
Parcourant, égaré, des routes incertaines,
La foudre le frappa; du vaste champ des airs
Son corps précipité s'abîma dans les mers
Téméraires, craignez le sort qui vous menace :
Phaéton périt seul par sa funeste audace;
Si vous guidez trop tôt le char brillant de Mars,
Songez que tout l'État doit courir vos hasards.

<234>

CHANT II.

Quand sur cet univers la Discorde fatale
Se déchaîne des bords de la rive infernale,
Que ses cris furieux excitent ses serpents,
Qu'elle secoue en l'air ses flambeaux dévorants.
Et sur les toits des rois répand leurs étincelles,
Alors, envenimant leurs funestes querelles,
La vanité, l'envie et l'animosité
Chassent de leurs conseils la paix et l'équité;
La vengeance à leurs yeux offre sa douce amorce,
Et tous leurs démêlés se vident par la force
Par ses premiers succès le monstre encouragé,
Avide encor du sang dont il est regorgé,
Invoque par ses cris le démon de la guerre
Et les fléaux cruels qui désolent la terre
Alors s'ouvrent partout les magasins de Mars,
Les tonnerres d'airain garnissent les remparts,
L'acier battu gémit sur la pesante enclume,
Et l'air est infecté de soufre et de bitume.
Ces immenses cités où les heureux sujets
Jouissaient des plaisirs, des arts et de la paix,
Sont pleines de soldats, de machines et d'armes;
Ces guerriers rassemblés respirent les alarmes,
La trompette guerrière éclate dans les airs,
On n'attend pour agir que la fin des hivers
La saison des plaisirs, où le dieu de Cythère
<235>Fait respirer l'amour à la nature entière,
Où les mortels en paix se livrent à ses feux,
N'offre que des dangers aux cœurs audacieux :
Mais la gloire a caché ces périls à leur vue
Dès que l'air s'adoucit, que la neige fondue
Tombe en flots argentés de la cime des monts,
Et serpente en ruisseaux à travers les vallons,
Que les prés, émaillés par des fleurs différentes,
Présentent aux troupeaux leurs pâtures naissantes,
Que les blés verdoyants embellissent nos champs,
Dès que Flore aux humains annonce le printemps,
Ces guerriers, préparés contre des coups sinistres,
Des vengeances des rois redoutables ministres,
Volent pour s'assembler dans les champs de l'honneur,
Et tous, pleins du désir de marquer leur valeur,
Quittent l'abri du toit pour la toile légère.
Leurs voisins effrayés appréhendent la guerre,
Et de leurs laboureurs ces champs272-a abandonnés
Par des bras étrangers vont être moissonnés.
Vers un lieu désigné cette troupe guerrière
S'assemble pour camper sur un front de bandière
Sitôt qu'on a choisi les lieux des campements,
On voit tracer, bâtir et croître en peu de temps
Places, maisons, palais de cette ville immense;
L'élite de l'État y tient sa résidence,
Le travail y préside, il élève ces toits
Sans l'aide du ciment, des pierres ni du bois;
Tout soldat est maçon; cet architecte habile
Fait, transporte et refait cette cité mobile.
Il faut beaucoup d'acquis, de l'art et des talents,
Pour choisir son terrain et pour prendre ses camps;
Cette utile science est surtout estimée
Voulez-vous par vos soins assurer votre armée?
Formez-vous le coup d'œil sur des signes certains,
Faites un bon emploi des différents terrains.
Ici, vous rencontrez des hauteurs escarpées,
<236>Là, des vallons, des champs, ou des terres coupées;
Dans des occasions et des temps différents,
Ils vous serviront tous à soutenir vos camps;
D'eux dépend votre sort quand le combat s'apprête
Vos troupes sont un corps dont vous êtes la tête;
Il faut penser pour lui, ranimer son effort,
Agir quand il repose, et veiller lorsqu'il dort.
En vous tous ces guerriers placent leur confiance,
Leurs destins sont commis à votre prévoyance;
Répondez à leurs vœux par votre habileté :
Le soldat de vous seul attend sa sûreté
Si vous voulez tenter la fortune incertaine,
Avide de combats, campez-vous dans la plaine :
Rien n'y peut empêcher vos divers mouvements;
Placez, pour sûreté, des corps sur vos devants,
N'éloignez pas les camps des bois et des rivières,
Couvrez de son abri les villes nourricières.
Il faut que votre corps, sur deux lignes rangé,
Occupe son terrain avec art ménagé,
L'infanterie au centre, et surtout sur les ailes
Placez de vos dragons les cohortes nouvelles;
Ceux qui par pelotons élancent le trépas
Font le corps de bataille, et vos coursiers, ses bras;
Des deux côtés, sans gêne, ils doivent les étendre.
Attentif aux moyens qu'ils ont pour se défendre,
Au lieu qui leur est propre assignez chaque corps :
Dans un terrain contraire ils perdent leurs efforts.
Ces centaures vaillants dont la course légère
Fait sous leurs pieds adroits disparaître la terre,
Et soulève dans l'air des nuages poudreux,
Ne sauraient s'élancer dans des lieux montagneux.
Les terrains sont égaux pour votre infanterie,
Montagne, défilé, bois, colline, prairie;
Elle franchit la plaine à grands pas menaçants,
Escalade les monts et les retranchements,
Elle attaque ou défend avec même avantage
Tous les postes divers où le combat s'engage.
<237>Tel que dans le printemps un nuage orageux
Gronde et vomit soudain de ses flancs ténébreux
Les éclairs menaçants, et la grêle, et la foudre,
Renverse les épis et les réduit en poudre :
Tels ces braves guerriers par des gerbes de feux
Terrassent l'ennemi, qui s'abat devant eux.
Si votre expérience est déjà consommée,
Vous saurez appuyer les flancs de votre armée;
Un bois, une rivière, un village, un marais,
Par leurs difficultés en défendent l'accès;
Votre ennemi confus respectera ces bornes.
Le taureau se confie en ses superbes cornes,
Il terrasse les ours, les lions, les chevaux;
Fièrement attentif à leurs brusques assauts,
Il marche dans l'arène, il s'élance, il s'arrête,
Il refuse les flancs et présente sa tête.
Gravez dans votre esprit ce principe important :
Qui cache sa faiblesse est un guerrier prudent.
Le héros d'Ilion, illustré par la Fable,
Achille, au talon près, était invulnérable;
Vous l'êtes sans vos flancs, donnez-leur un appui,
Ou vous pourrez par eux succomber comme lui.
Le sort peut relever vos faibles adversaires;
Si les événements vous deviennent contraires,
Si leur troupe grossit par des secours nombreux,
Quittez des champs ouverts les postes hasardeux;
Vous suppléerez au nombre, et par votre science
Vous choisirez des camps propres pour la défense :
Dans d'épaisses forêts, sur le sommet des monts,
Ou derrière un torrent placez vos bataillons.
Ce n'est pas encor tout; qu'une route inconnue
Pour sortir de ce poste ouvre une libre issue :
Alors, maître absolu de tous vos mouvements,
Vous enchaînez le sort et les événements;
L'ennemi que votre art a su rendre immobile
Consumera sans fruit son audace inutile.
Apprenez à présent comme il faut dans ces camps
<238>Selon les lois de Mars ranger les combattants :
Soutenez par le feu la ligne de défense,
Et de vos bataillons remplissez la distance
Par vos foudres d'airain, dont les coups menaçants
Impriment l'épouvante au cœur des assaillants.
Derrière ces volcans d'où part la flamme ardente
Placez des cuirassiers la cohorte brillante;
Si vos rivaux de gloire, animés par l'honneur,
Percent par votre ligne et forcent sa valeur,
Ébranlez vos coursiers, que la tranchante épée
Du sang des ennemis aussitôt soit trempée.
Ainsi par l'art du chef le docile terrain
Contre un danger pressant prête un secours certain,
Ainsi l'habileté corrige la fortune;
Mais la prudence est rare, et l'audace est commune :
Varron fut un soldat, Fabius un héros.
Tel, s'élevant aux cieux, le sommet de l'Athos
Voit le fougueux Borée assembler les nuages;
Il entend à ses pieds éclater les orages,
Son front toujours serein, où se brisent les vents,
Méprise le tonnerre et ses bruits impuissants :
Tel, du haut de son camp, bravant le sort contraire,
Un héros, de sang-froid, voit son fier adversaire
Épuiser contre lui sa frivole fureur.
Si le dieu des combats vous marque sa faveur,
Si du génie en vous brillent les étincelles,
Vous trouverez partout des forts, des citadelles,
Que les mains des mortels n'ont jamais travaillés,
Postes que la nature a seule ainsi taillés.
L'ignorant voit ces lieux, mais c'est sans les connaître,
Le sage les saisit, ce sont des coups de maître.
Ainsi dans un lieu fort le fier Léonidas
Se défendit longtemps avec peu de soldats;
Un monde de Persans aussi fiers qu'inhabiles
Se virent arrêtés au pas des Thermopyles;
La Grèce par son art sut confondre Xerxès
Dans le rapide cours de ses brillants succès.
<239>Ainsi, se disputant la victoire et l'empire,
Transportant les hasards d'Ausonie en Épire,
Le héros du sénat, l'idole des Romains
Du fils d'Anchise un temps balança les destins.
Monts de Dyrrachium, où Rome était campée,
Vous forçâtes César à respecter Pompée.
Sans risquer de combat, maître de la hauteur,
Le sénat triomphait, Pompée était vainqueur;
Mais trop facile aux vœux d'une jeunesse ardente,
Lasse de ses travaux, valeureuse, imprudente,
Il quitta sans raison277-a son poste avantageux;
Que Mars lui fit sentir des destins rigoureux
Dans ce jour décisif, dans ce combat unique
Où César soumit Rome au pouvoir despotique!
Vous, Montécuculi, l'égal de ce Romain,
Vous, sage défenseur de l'Empire et du Rhin,
Qui tîntes par vos camps, en savant capitaine,
La fortune en suspens entre vous et Turenne,
Mes vers oublieraient-ils vos immortels exploits?
Ah! Mars pour les chanter ranimerait ma voix.
Venez, jeunes guerriers, admirez sa campagne,
Où ses marches, ses camps sauvèrent l'Allemagne,
Où, se montrant toujours dans des postes nouveaux,
Il contint les Français, et brava leurs travaux.
Mais ne présumez pas qu'il se tînt immobile :
Quoiqu'un camp vous paraisse une superbe ville,
La guerre veut souvent d'autres positions;
Il faut sur l'ennemi régler ses actions,
Le prévenir partout, occuper un passage,
Marcher rapidement, saisir son avantage,
Se retirer sans perte, avancer à propos,
Et toujours l'occuper par des desseins nouveaux.
Quand par ordre du chef le vieux camp s'abandonne,
Tous les corps séparés, se mettant en colonne,
Forment, en s'avançant, quatre corps différents,
L'infanterie au centre et les coursiers aux flancs;
<240>Sous leurs pieds, dans les airs s'élève la poussière.
L'ennemi, qui de loin voit leur troupe guerrière
En replis tortueux couvrir les vastes champs,
Comme aux bords africains ces énormes serpents
Tous armés278-a et couverts d'une écaille brillante,
A cet aspect terrible il frémit d'épouvante,
Et croit voir devant lui s'avancer le trépas.
Quand vous marchez en ordre et prêt pour les combats,
Afin qu'avec plaisir Bellone vous regarde,
Poussez devant l'armée une forte avant-garde;
Ne l'abandonnez pas, sachez la soutenir,
Ou l'ennemi trop prompt pourrait vous en punir.
Semblable à ce fanal qui précéda Moïse,278-b
Ce corps vous garantit contre toute surprise.
Il est plus d'un moyen pour transporter les camps;
S'il faut vous ébranler en tournant par vos flancs,
Qu'à la droite ou qu'ailleurs le besoin vous appelle,
Vos deux lignes alors marchent en parallèle.
Le sort peut quelquefois abaisser les vainqueurs :
Condé s'est vu battu, Turenne eut des malheurs.
Alors il faut céder à ce destin contraire,
On peut en reculant tromper son adversaire;
C'est là que l'art du chef doit se faire admirer,
Si sans confusion il sait se retirer.
Son bagage escorté part et prévient sa perte,
Par un corps qui la suit son armée est couverte,
Et tandis qu'il garnit le fier sommet des monts,
Ses guerriers rassurés traversent les vallons;
Ce héros gagne ainsi, sans que son nom s'expose,
Un poste avantageux où sa troupe repose.
En passant les forêts et les monts des Germains,
Varus négligea trop le soin de ses Romains;
Il oublia de l'art les règles salutaires,
Ses camps étaient peu sûrs, ses marches téméraires,
Il guida ses soldats en d'affreux défilés
<241>Où par Arminius ils furent accablés.
Frappé de leur destin, le pacifique Auguste
S'écria, dans l'effort d'une douleur si juste :
« O Varus! ô Varus! rends-moi mes légions! »
S'il eût vu les Romains dans leurs positions,
Il aurait plutôt dit : Général incapable,
« Occupe les hauteurs d'où l'ennemi t'accable. »
Voilà quels sont de l'art les principes certains
Pour mouvoir de grands corps et choisir des terrains;
De l'ordre dans les camps, une marche bien faite,
Un poste avantageux, une belle retraite,
Décident du destin des rois et des États.
Vous, illustres guerriers, guides de nos soldats,
Apprenez par mes vers les lois de la tactique,
Et par leur théorie allez à la pratique :
Si vous voulez passer sous un arc triomphal,
Campez en Fabius, marchez comme Annibal.

<242>

CHANT III.

Vous avez parcouru les arsenaux de Mars.
C'est peu d'être enrôlé sous ses fiers étendards,
C'est peu que d'un soldat le courage s'estime,
Si, maître de son art, il ne tend au sublime.
Suivez-moi dans son temple, observez, pénétrez
Ses mystères divins, de la foule ignorés;
Loin des sentiers battus où rampe le vulgaire,
D'un pas sage et hardi marchez au sanctuaire.
Voyez-vous ces chemins raboteux, resserrés,
Teints du sang des héros, d'abîmes entourés?
Sur ce rocher sanglant voyez-vous dans la nue
De ce palais sacré la superbe étendue?
Son faîte est dans l'Olympe, au delà du soleil,
Où des dieux immortels s'assemble le conseil;
Ses fondements d'airain touchent au noir Tartare.
Alecton, la Discorde avec la Mort barbare,
Les gardes redoutés de ces lieux effrayants,
Lancent en vain sur vous des regards foudroyants;
La Gloire vous rassure et sa voix vous appelle,
La Gloire ouvre le temple, avancez avec elle.
Je vois les chastes Sœurs dans ces parvis sacrés;
Leurs utiles travaux n'y sont point ignorés.
<243>Un compas dans la main281-a j'aperçois Uranie,
Qui, mesurant la terre et sa forme aplatie,
Nous dépeint en petit, par ses crayons diserts,
Les différents États que contient l'univers;
Chaque point sur la terre a son ordre et sa place,
D'un hémisphère à l'autre elle a marqué la trace.
Sanson281-b avec Vauban, ses dignes favoris,
Des novices guerriers cultivent les esprits;
Elle leur montre à tous, dans des cartes guerrières,
Les pays, les cités, les monts et les rivières,
Les forts que l'on doit prendre et ceux qu'on doit laisser,
Les chemins reconnus qu'un corps peut traverser.
Plus loin, c'est Calliope : en caressant la Gloire,
Des rois et des héros elle conte l'histoire;
Ses jeunes auditeurs, attentifs à sa voix,
S'échauffent au récit de leurs nobles exploits,
Et la Muse, en traitant des matières si hautes,
Leur montre à profiter des succès et des fautes.
Voyez-vous la Morale à l'air majestueux,
Qui chasse du parvis les cœurs présomptueux?
Elle enseigne aux guerriers, d'un ton de voix sévère,
Les devoirs de l'honneur et d'un mérite austère,
Condamne l'intérêt et la férocité,
Dans le sein des horreurs prêche l'humanité,
Étouffe dans ses mains les serpents de l'envie,
Et veut pour l'État seul qu'on prodigue sa vie.
Approchons-nous : Bellone, un glaive dans la main,
Fait tourner sur ses gonds cette porte d'airain
Qui cache pour jamais à tout guerrier vulgaire
Les secrets que le dieu renferme au sanctuaire,
Connus des favoris qu'il place à ses côtés.
Dans le fond de ce temple, entouré de clartés,
Sur un trône éclatant, de grandeur infinie,
Soutenu dans les airs des ailes du génie,
<244>Paraît le dieu terrible en toute sa splendeur;
On voit auprès de lui l'intrépide Valeur,
Le tranquille Sang-froid qui sans crainte s'expose,
Le vigilant Travail qui jamais ne repose,
La Ruse à l'œil malin, qui, féconde en détours,
Par ses déguisements se fournit des secours,
Qui prend, dans le besoin, une forme empruntée,
S'échappe et reparaît comme un autre Protée;
L'Imagination aux yeux étincelants,
Brûlant d'un feu divin qu'elle porte en ses flancs,
Avec rapidité conçoit, forme, dessine
Mille brillants projets que Pallas examine;
Plus loin, les yeux baissés et le maintien discret,
On voit l'impénétrable et fidèle Secret;
Son doigt mystérieux repose sur sa bouche,
Ce confident de Mars sait tout ce qui le touche.
Le trône est entouré de lauriers éternels
Qu'il présente lui-même aux demi-dieux mortels,
A ses vrais favoris, qui, dignes de leur gloire,
Aux efforts du génie ont soumis la victoire.
Couronnes des héros, c'est vous dont les appas
Entraînent les guerriers dans l'horreur des combats;
Les autres passions sont par282-a vous étouffées.
Dans ce temple brillant, décoré de trophées,
Où Mars règle à son gré le sort du genre humain,
Placés dans l'entre-deux de colonnes d'airain,
On peut des fils du dieu distinguer les statues,
Foulant les nations que leurs mains ont vaincues.
Là sont ces deux héros tant de fois comparés,
Montés au premier rang par différents degrés :
Le vainqueur des Persans, le vainqueur de Pompée;
La terre de leur nom est encore occupée.
Là paraît Miltiade, Alcibiade,
Cimon, Paul-Emile, Quintus Fabius, Scipion;
Plus loin, le grand Henri, Condé, Villars, Turenne;
Là, Montécuculi, de Bade, Anhalt, Eugène,
<245>L'heureux Gustave-Adolphe et le Grand Électeur.
Là, sortant fraîchement de la main du sculpteur,
On voit une statue élégante et nouvelle;
Son front est ombragé d'une palme immortelle :
C'est ce fameux Saxon, le héros des Français,
Que la mort dans son lit abattit de ses traits.283-a
Venez, jeunes guerriers, voici l'Expérience :
Par d'immenses travaux elle acquit la science;
Son front est ombragé de cheveux blanchissants,
Ses membres recourbés sentent le poids des ans,
Son corps cicatrisé, tout couvert de blessures,
Du temps qui nous détruit affronte les injures.
Présente à tous les faits, présente à tous les lieux,
Elle instruit les esprits de ce qu'ont vu ses yeux;
Elle vous fera voir, dans la guerre punique,
Par quel coup Scipion sauva Rome en Afrique,
A Carthage effrayée attirant Annibal,
Le força de combattre en son pays natal;
Un général vulgaire, un moins vaste génie,
Satisfait d'accourir aux champs de l'Ausonie,
Peut-être eût défendu son pays ravagé;
Il eût sauvé l'État, mais ne l'eût point vengé.
La discorde, en troublant la maîtresse du monde,
Dans les divers partis en héros fut féconde :
Voyez Sertorius, qu'on ne peut accabler,
Avancer à propos, quelquefois reculer.
Assuré par l'appui des rochers d'Ibérie,
Arrêter des Romains la valeur aguerrie;
Tant un génie heureux qui possède son art
Des destins de la guerre écarte le hasard!
Un guerrier plus ardent, moins sage et moins habile,
De l'âpreté des monts quittant le sûr asile,
Eût cherché ses rivaux, qui dans leurs camps nombreux
Amenaient la fortune et Pompée avec eux.
Ici, le grand Condé, fils chéri de Bellone,
De la France étonnée assure la couronne;
<246>Il fallait arrêter par des coups éclatants
D'un heureux ennemi les succès trop constants.
Dans ce jour décisif pour l'Espagne et la France,284-a
L'audace du héros fit plus que la prudence;
Un chef plus circonspect et moins entreprenant
N'aurait point hasardé ce combat important;
L'Espagnol, enhardi par ce Français timide,
Vers Paris eût poussé sa fortune rapide.
Voyez du fond du Nord, où règnent les hivers,
Cette flotte étrangère avancer sur nos mers :
Elle porte Gustave et le sort de l'Empire,
Des Germains divisés la discorde l'attire,
La prudence le guide, et Mars est avec lui.
Des peuples opprimés trop dangereux appui,
Il vient, il est armé contre la tyrannie
Dont Vienne menaçait la fière Germanie;
Gustave s'établit sur les bords de la mer,
Où Stralsund lui présente un port toujours ouvert.
Là, soit que le destin protége son audace,
Ou que du sort jaloux il sente la disgrâce,
Il est sûr des secours qu'arment ses défenseurs
Pour servir sa fortune ou venger ses malheurs.
Il marche en conquérant, le bonheur l'accompagne,
Il parcourt, il délivre, il dompte l'Allemagne,
Il remet dans leurs droits cent princes outragés :
Protecteur redoutable à ceux qu'il a vengés,
A ses desseins secrets il fait servir sa gloire;
Si la Parque fatale, au sein de la victoire,
N'eût arrêté sa course et tranché son destin,
L'Empire aurait nourri deux maîtres dans son sein.
Là, regardez Eugène et sa marche hardie,
Quand l'empire des Lis tenait la Lombardie :
Les Alpes au héros préparent le chemin,
Il les franchit, il vole, il délivre Turin;
Marsin, qui défendait une trop vaste enceinte,
Vit partout son armée à la fuite contrainte,
<247>Et par ce seul exploit le rapide vainqueur
Rend la triste Italie à son faible empereur.285-a
Suivez ce grand Eugène aux champs de la Hongrie :
Du Danube, en sa marche, il longe la prairie,
Il assiége Belgrad, et voit les Musulmans
A leur tour l'assiéger dans ses retranchements :
Il pousse ses travaux, il resserre la place,
Du vizir téméraire il méprise l'audace,
Il le laisse avancer par un travail nouveau,
Il lui laisse le temps de passer un ruisseau;
Alors, sans balancer, ce fils de Mars s'élance,
Sur eux ses cuirassiers fondent en assurance,
Tout fuit devant ses pas, le Turc, plein de frayeur,
Cède le champ de gloire et Belgrad au vainqueur.
Sortez de l'Elysée, ombre illustre et chérie,
Quittez pour nous des cieux l'immortelle patrie;
D'un regard paternel voyez vos descendants,
De l'art qui vous fit vaincre instruisez vos enfants.
Enfants de ce héros, je vous donne pour maîtres,
Non des guerriers obscurs, mais vos propres ancêtres.
Électeur généreux, c'est donc vous que je vois!
Vos peuples sont encor tout pleins de vos exploits;286-a
C'est à leurs cris touchants, c'est à leur voix plaintive
Que, du Rhin tout sanglant abandonnant la rive,
L'Elbe vous vit soudain voler à leur secours.286-a
L'État était en proie aux tigres, aux vautours,
Les fiers enfants des Goths ravageaient nos contrées,
Ils brûlaient nos cités, au pillage livrées;
Wrangel, fier d'un succès qui n'avait rien coûté,
S'endort dans son triomphe avec sécurité;
La foudre le réveille au bord du précipice,
Un dieu vengeur paraît, un dieu pour nous propice :
Venir, voir, triompher, fut l'ouvrage d'un jour;
Le Suédois, consterné par ce subit retour,
<248>Surpris dans ses quartiers par ce nouvel Alcide,
Veut en vain s'opposer à sa course rapide.
O champs de Fehrbellin! témoins de ses hauts faits,
Vous vîtes les Suédois attaqués et défaits.
Tel jadis du Très-Haut exerçant la vengeance,
D'un peuple, dans ses camps, punissant l'arrogance,
L'ange exterminateur frappa les Philistins :287-a
Tel, et plus grand encore en ses heureux destins,
Guillaume, dans ce jour au-dessus de sa gloire,
Exerce la clémence au sein de la victoire;
Il pardonne à Hombourg, dont l'imprudente ardeur
Engagea le combat, séduit par la valeur;
Il fait grâce aux captifs, à ces bandes altières,
De l'État désolé cruels incendiaires.
Mais s'il sait pardonner à ceux qu'il peut punir,
Des bords qu'ils ravageaient ardent à les bannir,
Il fait fuir devant lui leur troupe épouvantée
Vers les flots de la mer qui l'avait apportée.
Ses exploits287-b sont suivis par des exploits nouveaux :
La Prusse à son secours appelle ce héros;
Les rigueurs de l'hiver, les flots couverts de glace,
Au lieu de l'arrêter, secondent son audace,
Et Thétis, étonnée au bruit de ces récits,
Voit transporter des camps sur ses flots endurcis.
Il vient, et son nom seul, qui répand l'épouvante,
Confond des ennemis la fureur insolente;
Il vient, il est vainqueur, tout fuit devant ses pas,
Et sans même combattre il venge ses États.
Ce héros, qui jouit d'une gloire immortelle,
Doit, nourrisson de Mars, vous servir de modèle.
Sans cesse étudiez, comme cet électeur,
Les différents pays où vous guide l'honneur.
Digérer vos projets, c'est remplir votre attente.
L'imagination souvent est imprudente :
Ne comptez jamais seul, et sachez supposer
<249>Tout ce que l'ennemi pourra vous opposer;
Vos desseins sont manqués, si par votre prudence
Vous n'avez point pourvu pour votre subsistance.
Ce roi qui des destins éprouva les excès
N'eût point perdu le fruit de neuf ans de succès,
Si, dans des champs déserts conduisant son armée,
Le Czar ne l'eût battue, affaiblie, affamée.288-a
Que le foudre, en secret enfermé dans les airs,
Sur l'ennemi surpris tombe avec les éclairs;
Toujours prêt, toujours prompt, mais jamais téméraire.
Croyez que rien n'est fait, tant qu'il vous reste à faire,
Et ne soyez content de vos plus beaux succès
Qu'autant qu'un plein effet répond à vos projets.
Ainsi, lorsque de Dieu la sagesse profonde
Du ténébreux chaos eut arraché le monde,
Il trouva l'univers, par son souffle animé,
Conforme au grand dessein qu'il en avait formé.

<250>

CHANT IV.

<251>Lorsqu'au siècle de fer, siècle où naquit le vice,
L'audace du plus fort tenait lieu de justice,
Contre de fiers voisins, au pillage excités,
On entoura de murs les naissantes cités.
Bientôt, pour asservir des citoyens rebelles,
L'autorité des rois bâtit des citadelles,
On éleva des forts et des remparts nouveaux
Sur la cime des monts, aux confluents des eaux,
D'ouvrages menaçants on ceignit les frontières.
Tel que du double rang de ses dents carnassières
Le lion rugissant présente avec fierté
Le terrible appareil au Maure épouvanté,
Tel d'un puissant État la frontière assurée,
Bravant des ennemis la fureur conjurée,
Ralentit leur ardeur par ses puissants remparts.
La guerre en tous les temps fut le premier des arts;
Ainsi que ses progrès, cet art eut son enfance :
La Grèce et l'Ausonie, assurant leur puissance.
N'avaient imaginé de plus puissants secours
Que l'épaisseur des murs et la hauteur des tours.
De ces lieux élevés ils défendaient les brèches
En employant la fronde ou décochant des flèches;
Des pierres écrasaient les soldats assaillants.
Lorsqu'on serrait de près ces défenseurs vaillants,
Lorsqu'on battait un mur par des béliers terribles,
De bitume et de poix les masses combustibles
Tombaient sur la machine, et des traits meurtriers
Perçaient les assaillants malgré leurs boucliers;
Souvent les généraux, lassés d'efforts stériles,
Quittaient pleins de dépit ces travaux inutiles.
Je ne vous parle point de ce siége fameux
Qui fit périr Priam et ses fils malheureux :
J'honore d'Ilion la poétique cendre
Et ces combats livrés sur les bords du Scamandre;
Mais ce sujet si beau, par Virgile chanté,
Oterait à mes vers leur mâle gravité.
Voyez Rome occupée à prendre Syracuse,
Et Mételle290-a employer la valeur et la ruse
Pour emporter ces murs à force de travaux;
Là, voyez Archimède éluder ces assauts,290-b
De la ville et des tours réparer les ruines,
Arrêter les Romains et brûler leurs machines.
Marseille, de ses forts jusqu'alors indomptés,
Repoussa de César les assauts répétés;
Lassé de ces longueurs, mais sûr de sa fortune,
César soumit Marseille à l'aide de Neptune;
Les siéges des Romains, tous longs et meurtriers,
Suspendaient les destins des plus fameux guerriers.
Longtemps après César, le démon de la guerre
Des mains de Jupiter arracha le tonnerre;
Tout changea dans cet art par ces foudres nouveaux,
L'airain vomit en l'air des globes infernaux
Qui, s'élevant aux cieux par une courbe immense,
Redoublent, en tombant, de poids, de véhémence,
Abîment les cités, s'envolent en éclats,
Et de leur flanc cruel élancent le trépas.
Bientôt de ses291-a remparts le canon homicide,
Avec un bruit affreux et d'un essor rapide,
<252>Au même instant que l'œil peut voir partir l'éclair,
Atteignit l'ennemi d'une masse de fer;
Dans les murs des cités le boulet formidable
Rend à coups redoublés la brèche praticable.
Ces miracles de l'art, à nos jours réservés,
Par le dieu des combats aux siéges approuvés,
Se font par le charbon, le soufre et le salpêtre.
Depuis que ce secret chez nous s'est fait connaître,
L'industrie inventive, abondante en secours,
Défendit les cités sans élever des tours;
Par des difficultés bien plus ingénieuses
On évita l'effet de ces foudres affreuses.
Vous, célèbre Vauban, favori du dieu Mars,
Vous, le sublime auteur des modernes remparts,
Que votre ombre apparaisse à nos guerriers novices.
Montrez-leur par quels soins et par quels artifices
Vous avez assuré les places des Français
Contre les bras germains et les canons anglais;
Comment votre savoir, par des routes nouvelles,
A su multiplier les défenses cruelles.
Ces ouvrages rasants, enterrés, protégés,
Ne sont des feux lointains jamais endommagés;
Munis de contre-forts à certaines distances,
Ils sont environnés par des fossés immenses :
Les bastions voisins flanquent les bastions,
Ils tournent vers leur gorge en forme d'orillons;
Au milieu des fossés et devant les courtines
Je vois des ravelins chargés de couleuvrines.
Ces ouvrages, coupés par sa savante main,
Par un nouveau rempart disputent le terrain :
Autour de ces travaux, dans un plus vaste espace.
L'enveloppe s'élève, elle couvre la place;
Devant sont des fossés, là le chemin couvert,
La palissade enfin qui montre un front altier,
Et ce glacis sanglant que défend le courage,
Théâtre des combats, théâtre du carnage.
Que d'utiles travaux, de secours étonnants
<253>L'homme a tirés des arts soumis à ses talents!
Qui ne dirait, à voir les remparts de la France,
Que tout est épuisé dans l'art de la défense?
Non, ne le pensez pas; voyez ces souterrains :
Tout l'enfer s'associe aux fureurs des humains;
Ces glacis sous vos pas contiennent des abîmes,
Le salpêtre et la flamme attendent leurs victimes,
Ils partent de la terre, ils couvrent les remparts
D'armes, de sang, de morts, et de membres épais.
Malgré tant de travaux, tant de traits redoutables,
Les places, de nos jours, ne sont point imprenables;
Cet art ingénieux, soutien des défenseurs,
Par des secours égaux arme les agresseurs.
L'attaque a sa méthode : un chef expert et sage
A travers les périls s'ouvre un libre passage,
Il entoure les forts par ses guerriers nombreux;
S'il craint des ennemis les projets hasardeux,
S'il craint qu'un général entreprenant, habile,
Osât forcer son camp et secourir la ville,
La terre se remue, et tous ses combattants,
En creusant des fossés, font leurs retranchements.
Ceux que Mars a doués de qualités insignes
Dans un terrain étroit ont resserré leurs lignes :
Un fossé sans soldats ne défend pas ses bords,
Il faut aux ennemis opposer des efforts,
Et ménager, de plus, une forte réserve.
Afin que l'ennemi jamais ne vous énerve,
Munissez-vous toujours de vivres abondants,
Et méprisez alors l'effort des assaillants.
Étudiez le faible et le fort de la place,
Et contre elle tournez vos soins et votre audace;
Formez votre dépôt, avancez pas à pas,
Le niveau dans la main, la règle et le compas;
Approchez par détours au pied des citadelles,
Et creusez dans les champs de longues parallèles.
Il faut que ces travaux, avec art dirigés,
N'offrent point d'ouverture au feu des assiégés;
<254>L'airain vomit alors son redoutable foudre,
Bientôt les boulevards tombent réduits en poudre,
Le tonnerre des forts, qui s'élançait sur vous,
Est réduit au silence et respecte vos coups;
Dans son chemin couvert l'ennemi sans asile
Cède aux bonds d'un boulet qui de côté l'enfile.
Mais vous voilà placé sur ce glacis trompeur
Dont les volcans cachés impriment la terreur :
Dans ces perfides lieux servez-vous de la sonde,
Découvrez, éventez les mines à la ronde,
Craignez d'un sang trop vif le transport imprudent,
Ménagez vos soldats, hâtez-vous lentement.
Terminez avant tout la guerre souterraine;
Que le mineur caché fouille et perce avec peine,
Que la sape en avant, par des chemins précis.
Vous mène en sûreté sur le pied du glacis;
Pour ne point hasarder l'honneur d'une brigade,
Commandez vos assauts près de la palissade.
Alors, maître absolu de ce sanglant terrain,
Qu'on y mène d'abord ces tonnerres d'airain;
Par leurs coups redoublés les murailles s'éboulent,
A l'aide du sapeur les boulevards s'écroulent,
On comble les fossés à force de travaux,
Et les assauts cruels succèdent aux assauts;
Souvent dans ces combats les guerriers pleins d'audace,
Poursuivant les fuyards, ont emporté la place.
Ainsi, par un effort avec art dirigé,
L'impétueux Français, au combat engagé,
Au pouvoir de Louis fit tomber Valencienne.
Observez le soldat, il faut qu'on le retienne,
Les tigres, les lions sont plus humains que lui
Quand il suit furieux le soldat qui l'a fui;
Si vous ne gouvernez sa cruauté mutine,
Avide de pillage, ardent, sans discipline,
Porté par ses fureurs au comble des excès,
Vous le verrez souillé de meurtres, de forfaits.
Tout général cruel qui pille, qui ravage,
<255>Qui permet les excès, qui souffre le carnage,
Eût-il même conquis les plus vastes terrains,
Voit ses plus beaux lauriers se flétrir dans ses mains;
La voix de l'univers contre lui réunie,
Oubliant ses exploits, maudit sa tyrannie.
Tilly, qui combattit pour l'aigle des Césars,
De l'éclat de son nom remplit les champs de Mars;
Mais un nuage sombre en obscurcit la gloire,
Son nom fut effacé du temple de Mémoire,
De Magdebourg sanglant les lamentables voix
Éternisent sa honte et non pas ses exploits.295-a
Guerriers, retracez-vous cette effroyable image :
Si ma main vous dépeint ces meurtres, ce carnage,
C'est pour vous inspirer l'horreur de ces forfaits.
On porte aux habitants des paroles de paix,
Leur foi par cet espoir fut promptement séduite;
Sous le trompeur appât d'une trêve hypocrite,
Tilly les endormit dans les bras du repos;
Morphée avait sur eux répandu ses pavots.295-b
Sur ce puissant rempart qui l'avait défendue,
La garde mollement sur l'herbe est étendue,
D'autres pour leurs maisons abandonnent leurs forts;
Un fantôme éclatant, sorti des sombres bords,
De l'olive de paix leur présente la tige,
On l'embrasse, on accourt, enfin tout se néglige.
Tout dort, mais Tilly veille; il dispose ses corps,
Il précède l'aurore, il s'approche des forts;
Sur ces puissants remparts privés de leur défense
L'Autrichien cruel monte sans résistance.
Ah! peuple malheureux qu'un fantôme éblouit!
La trahison approche, elle vient, la paix fuit;
La mort, l'affreuse mort paraît dans ces ténèbres,
Et couvre la cité de ses ailes funèbres;
<256>La rage ensanglantée et les sombres fureurs296-a
Des glaives infernaux vont armer les vainqueurs,
La nature en frémit, et le ciel en colère
Fait en vain dans les airs éclater son tonnerre.
Rien n'arrête Tilly; les soldats effrénés,
A la licence, au meurtre, au crime abandonnés,
Ardents, impétueux, frappent, pillent, égorgent;
Du sang des citoyens ces tristes murs regorgent.
Tilly, tranquille et fier de ses affreux succès,
Conduit leur cruauté, préside à leurs forfaits :
Ils forcent les maisons, ils enfoncent les temples,
Le moins féroce même imite ces exemples;
Celui qui leur résiste et celui qui les fuit
Ne saurait éviter le fer qui le poursuit;
Près de sa mère en pleurs l'enfant à la mamelle,
Égorgé sur son sein, tombe et meurt avec elle;
En défendant son fils, le père infortuné
Expire sans venger ce fils assassiné.
On ne voit en tous lieux que des objets horribles;
Ces monstres furieux, aux plaintes inflexibles,
Dans un asile saint, inutile en ces temps,
Massacrent sans remords trois cents vieillards tremblants.
On dit, pour échapper au fer de ces impies,
Que de jeunes beautés, par la honte enhardies,
Cherchant clans le trépas un barbare secours,
Dans l'Elbe ensanglanté terminèrent leurs jours.
Mais quel spectacle affreux vient s'offrir à ma vue!
Où courez-vous, cruels? quelle rage inconnue!
Monstres, où portez-vous ces torches, ces flambeaux?
Vous êtes des démons et non pas des héros.
Déjà sur les palais la flamme se déploie,
Malheureuse cité, tu péris comme Troie.
L'embrasement s'accroît, il gagne en peu de temps,
Il s'élève en tous lieux d'horribles hurlements
De ceux que l'on égorge ou que le feu dévore;
O crimes! ô fureurs que la nature abhorre!
<257>Tels qu'on peint de l'enfer les tourments et les feux,
Ce théâtre d'horreur, ces gouffres ténébreux
Où du plus faible espoir les sources sont taries,
Les malheureux humains en proie à des Furies,
Aux supplices divers à jamais condamnés,
De flammes, de bourreaux, d'horreur environnés :
Tels, et plus effrayants, dans ces moments funestes,
Parurent, Magdebourg, tes déplorables restes;
Plus d'habitants, de murs, de temples ni d'abris,
La flamme dans les airs éclairait tes débris.
Et de cette cité, jadis si florissante,
Que les arts et la paix rendirent si brillante,
Après l'affreux malheur en cette nuit souffert,
De cette ville immense il restait un désert
Où le soldat cruel, fatigué du carnage,
S'applaudissait encor du meurtre et du pillage;
Et l'Elbe, en s'enfuyant de ces lieux détestés,
Couvrait de corps sanglants ses bords épouvantés.
Tilly fut-il heureux en prenant cette ville?
La flamme le priva d'une conquête utile;
Magdebourg n'était plus qu'un tombeau plein d'horreur,
Qui, mettant au grand jour l'excès de sa fureur,
En lui représentant tant d'images funestes,
Semblait le menacer des vengeances célestes.

<258>

CHANT V.

Pallas, qui vous appelle au champ de la victoire,
Qui par tous les chemins vous conduit à la gloire,
Qui forme des héros pour toutes les saisons,
Vous marque par mes vers ses prudentes leçons,
Pour que dans vos quartiers, à la fin des alarmes,
Vous sachiez conserver tout l'honneur de vos armes.
Lorsque le froid hiver aux cheveux blanchissants
Des cavernes d'Éole a déchaîné les vents,
Que le fougueux Borée, ennemi du Zéphire,
Sur Pomone et Cérès vient usurper l'empire,
Que les arbres couverts de glaçons, de frimas,
Des feuilles et des fruits ont perdu les appas,
Que les fleuves gelés demeurent immobiles,
Que les troupeaux nombreux quittent les prés stériles;
Lors enfin que les camps, étendus sur les monts,
Ressentent les rigueurs des rudes aquilons :
Les guerriers sont contraints d'abandonner leurs tentes,
Ils suspendent un temps leurs courses triomphantes;
Malgré toute l'ardeur dont ils sont animés,
Les chefs des deux partis, par l'hiver désarmés,
De l'abri des maisons recherchent les asiles.
Et leurs corps séparés s'enferment dans les villes.
Il faut que le soldat, aux travaux consacré,
Goûte pendant l'hiver un repos assuré;
<259>La fatigue, à la fin, l'affaiblit et l'épuisé,
L'art peut le garantir contre toute surprise.
Il faut que de gros corps tout prêts à s'ébranler
Contiennent l'ennemi qui voudrait vous troubler,
Que des postes divers la garde vigilante
Couvre tout votre front d'une chaîne puissante.
Passages, défilés, bois, chemins importants
Se garnissent d'abord par des détachements;
Sous les ordres du chef, un prudent capitaine
Garde cette frontière, et préside à la chaîne.
Les agiles dragons, les rapides hussards
Observent l'ennemi, préviennent les hasards,
L'inquiètent sans cesse, et leur avis fidèle
De sa moindre démarche apporte la nouvelle;
Par leurs soins répétés ses desseins reconnus
Sont soudain découverts et soudain prévenus.
Quand sur tous les détails qu'exige la défense
Vous aurez consulté les lois de la prudence,
Quand vous aurez fini ces pénibles travaux,
Vous en verrez bientôt renaître de nouveaux;
Que du froid Orion l'influence sévère
Procure aux combattants une paix passagère,
Leur chef judicieux, loin de rester oisif,
Dans les bras du repos peut se montrer actif.
C'est peu dans vos quartiers d'assurer votre armée,
De la tenir en ordre, à la gloire animée;
Il vous faut remplacer ces soldats généreux
Que la mort a ravis à vos drapeaux heureux.
La victoire a coûté; ces ombres immortelles
Veulent des successeurs et des cœurs dignes d'elles;
Dans de nouveaux soldats cherchez un prompt secours.
Le vulgaire imbécile à vil prix vend ses jours;
Ainsi que le poisson de nourriture avide
Est pris par le pêcheur à l'hameçon perfide,
De même, par l'appât d'un métal suborneur,
On tire de son champ l'indigent laboureur;
Du roi qu'il va servir il ignore l'outrage,
<260>Mais bientôt de la troupe où son destin l'engage
La fière discipline et le courage altier
Font un brave soldat d'un paysan grossier.
Souvent dans l'action le nombre seul décide,
Votre force peut rendre un ennemi timide.
Rassemblez avec soin de rapides coursiers;
Il faut qu'ils soient choisis, ainsi que vos guerriers,
Dans la fleur de leurs ans, vigoureux et dociles.
Préparez avec soin tous ces amas utiles
Que Cérès à vos soins s'empresse à présenter;
L'art de vaincre est perdu sans l'art de subsister.301-a
Ce camp, ce peuple entier, à votre loi fidèle,
Par une maladie à la longue mortelle
Se sent deux fois par jour vivement assaillir;
S'il manque de secours, on le voit défaillir.
Les fils de Galien y perdraient leur science,
Il faut pour les guérir maintenir l'abondance,
Ou, si vous négligez ces devoirs importants,
Vous verrez arriver au milieu de vos camps,
Du fond de ses rochers et de son antre aride,
Ce monstre décharné, la Faim pâle et livide.
Il amène avec lui les maux contagieux,
Le découragement aux cris séditieux,302-a
La faiblesse, la peur, la misère effroyable,
Le sombre désespoir, la mort inexorable;
Et dans ce camp désert, peuplé par des mourants,
Combattrez-vous tout seul des ennemis puissants?
Prévenez ce malheur, arrangez-vous d'avance,
Dans vos camps, par vos soins, amenez l'abondance,
Et préparez ainsi, dans les bras du repos,
Pour vos futurs exploits des triomphes nouveaux.
Tandis que s'arrangeant pour la naissante année.
Le chef par ses travaux règle sa destinée,
L'officier généreux, tranquille en ses quartiers,
<261>Dans le sein de la paix joint le myrte aux lauriers.
Sa fidèle moitié, pleine d'impatience,
Oublie entre ses bras les malheurs de l'absence;
O jours, ô doux moments par la crainte achetés!
Après tant de soupirs que l'amour a coûtés,
Quel plaisir de revoir à l'abri des alarmes
L'époux qui fit couler et qui tarit ces larmes,
D'entendre ses exploits, de désarmer ses bras,
Les vengeurs de leur roi, la gloire des combats,
D'attendrir ce grand cœur aux dangers insensible,
De baiser tendrement cette bouche terrible
Qui hâtait des soldats le redoutable effort,
Qui par ses fiers accents précipitait la mort!
Tandis que sur le sein de sa fidèle amante
Se penche du héros la tête triomphante,
Bénissant ses exploits, joyeux de son retour,
On voit autour de lui les fruits de son amour.
L'un baise avec transport ses mains victorieuses,
Et brûle de remplir ces routes épineuses
Où les sages guerriers se rendent immortels;
L'autre serre en ses bras les genoux paternels;
De ces faibles enfants les naïves caresses
A ce père chéri prodiguent leurs tendresses,
Ils tiennent, en jouant, dans leurs débiles mains
Ce fer trempé de sang, ce fer craint des humains,
Son casque menaçant, sa terrible cuirasse;
Bientôt des pas du père ils vont suivre la trace.
Le dieu du tendre hymen donne à ces vrais amants
Ces biens purs et parfaits, ces doux ravissements
Qui naissent de l'estime où le cœur participe,
Dont l'amour réciproque est le constant principe,
Agréments inconnus dans la fleur de leurs jours
A tous les partisans des frivoles amours.
De ces chastes liens écartant la mollesse,
Ce généreux amant est tendre sans faiblesse;
Son cœur ne connaît point la molle volupté,
Et quand le devoir parle, il est seul écouté.
<262>Dans ces chastes plaisirs, dans cette jouissance,
Compagne du devoir et de la tempérance,
Son corps robuste et sain n'est jamais abattu,
Son amour innocent anime sa vertu;
On le verra bientôt, plein d'une ardeur nouvelle,
Accourir dans ces champs où la gloire l'appelle.
Avant que les hivers finissent leurs rigueurs,
Avant le doux retour de la saison des fleurs,
Aux postes avancés les généraux s'empressent,
Ils forment leurs projets, les camps se reconnaissent,
Les élèves d'Euclide arpentent les terrains,
Pour assembler304-a les corps désignent les chemins.
Le chef, toujours actif, veille sur leur ouvrage,
Il en donne le plan, il en sait l'avantage;
S'il pense à l'avenir, il n'est pas moins prudent
A pourvoir aux besoins qu'exige le présent.
La mère des succès, la sage méfiance,304-b
Dans ses travaux divers soutient sa vigilance,
Elle vient l'éveiller au moment qu'il s'endort,
A ses sens fatigués donne un nouvel essor;
Souvent elle lui dit : Craignez votre adversaire,
Pesez tout ce qu'il fait et tout ce qu'il peut faire,
Ayez chez l'ennemi, dans ses camps, en tous lieux,
Autour du général, des oreilles, des yeux
Qui l'observent partout, qui percent ses mystères,
Qui sachent ses desseins, ses projets militaires,
Et n'épargnez jamais pour des avis certains
Ce métal corrupteur qui séduit les humains.
Jugez en étranger de vos plans, de vous-même,
A vos arrangements donnez un soin extrême;
Croyez-vous vos quartiers en pleine sûreté?
Sur ces monts fondez-vous votre sécurité?
Croyez-vous que le corps qui tient cette rivière,
Qui, défendant son bord, garde votre frontière,
<263>N'est point dans le péril de se voir insulter?
Sur vos positions n'allez point vous flatter :
Ces monts audacieux dont la terrible chaîne
Servait de boulevard à la fierté romaine,
Ces monts, dont on craignait le passage fatal,
Ne purent arrêter les progrès d'Annibal.
Soldat laborieux, il vainquit ces obstacles :
L'audace des héros opère des miracles;
Il arrive, il descend par de nouveaux chemins,
Étonne, attaque et bat les généraux romains.
Vendôme s'assurait sur l'appui des montagnes
Qui bordent des Lombards les fertiles campagnes,
Quand, suivant des chemins inconnus jusqu'alors,
Eugène de l'Adige osa franchir les bords,
Et, non moins vigilant que hardi capitaine,
Brisa le joug honteux qu'au Pô donna la Seine.
Remarquez ces torrents dans ces tristes saisons :
Le froid les a changés en des ponts de glaçons;
L'ennemi, quelque jour, plein d'une noble audace,
Pour forcer vos quartiers en franchira l'espace;
Alors, surpris, confus, séparé, consterné,
Malgré vous dans la fuite avec honte entraîné,
Un seul moment fatal à vous, à votre armée,
Ravira vos succès et votre renommée.
Rien de plus dangereux qu'un quartier enlevé :
Ce n'est point pour le mal qui vous est arrivé,
Mais votre troupe alors, interdite et rebelle,
Perd son respect pour vous, sa confiance en elle;
L'abattement succède au désir des combats,
Tout est découragé, le chef et les soldats;
Cet échec après soi traîne de longues suites,
Et l'ennemi vous perd, s'il hâte ses poursuites.
Bournonville, battu, mais fier de ses renforts,
Du Rhin majestueux passa les larges bords;
Devant lui les Français, sous les lois de Turenne,
Gagnaient en reculant les monts de la Lorraine;
Sans consulter son art, sans craindre des revers,
<264>Le Germain se sépare avant les froids hivers,
Il divise ses corps, il cantonne en Alsace,
Il hâte par ses mains le sort qui le menace.
Tandis qu'il est flatté par la sécurité,
Que l'aigle des Césars s'endort en sûreté,
Turenne se rassemble au revers des montagnes,
Il les passe, il paraît, il fond dans les campagnes,
Tombe sur Bournonville, enlève ses quartiers,
De ses soldats épars il fait des prisonniers,
Et force le Germain, par cette rude épreuve,
A passer en courant vers l'autre bord du fleuve.306-a
L'hiver peut procurer de rapides succès,
La saison du repos peut hâter vos progrès;
Qu'assemblé par l'audace et par la vigilance,
Vers des corps séparés un corps nombreux s'avance :
Dès qu'il les a surpris, l'ennemi confondu
Le rend victorieux sans avoir combattu.
Que la rapidité se joigne à la conduite,
Dissipez l'ennemi, précipitez sa fuite :
Nos fastes vous diront qu'en tous lieux, en tout temps,
Le destin seconda les chefs entreprenants.
Tel parut aux Saxons ce conquérant rapide
Qui couvrait Stanislas de sa puissante égide :
Lorsque s'abandonnant à ses tendres désirs,
Auguste de Vénus partageait les plaisirs
Avec le tendre cœur de sa jeune maîtresse,
Se couronnait de pampre, et, rempli d'allégresse,
Oubliait son devoir, la Pologne et son camp,306-26
L'Alexandre du Nord l'assaillit à l'instant,
Des fêtes de Bacchus il trouble les mystères;
Les bacchantes, l'amour, les guerriers mercenaires,
Tout fuit devant ses pas, et le Saxon chassé
Consent qu'Abdolonyme307-a au trône soit placé.
<265>Telle des régions où gronde le tonnerre,
Quand l'aigle dans son vol aperçoit sur la terre
Des montagnes, des bois les jeunes habitants
Sans crainte des dangers dans la campagne errants,
Elle tombe sur eux, jette des cris de joie,
Et dans son nid sanglant elle emporte sa proie.

<266>

CHANT VI.

Le dieu de la victoire a daigné par ma voix
Enseigner de son art les rigoureuses lois;
Du métier des héros on a vu l'origine,
Le choix des campements, l'ordre, la discipline,
Comment un chef habile assure ses quartiers,
Et brise les remparts sous ses coups meurtriers.
Par de plus grands objets terminons cet ouvrage,
Des batailles traçons la redoutable image,
Montrons sur cette mer si prompte à s'irriter
Les dangers, les écueils, l'art de les éviter :
Je vous guide au combat, troupe illustre et guerrière.
Voilà ce champ fameux, voilà cette carrière
Où tant de généraux ont trop tôt succombé,
Où Guillaume bronchait, où Marsin est tombé,
Où d'autres, essoufflés, sans force et sans ressource,
N'atteignirent jamais le terme de leur course.
Là s'abattit Pompée, ici finit Pyrrhus,
Là périt Annibal, Mithridate, Crassus;
Des vestiges sanglants de leurs funestes pertes,
De leurs tristes débris les plaines sont couvertes.
Mais dans ces mêmes champs, courant avec plus d'art,
On a vu triompher Alexandre, César,
L'impétueux Condé, le sublime Turenne,
Gustave, Luxembourg, Villars, Maurice, Eugène.
<267>O vous, jeunes guerriers, touchés de leurs hauts faits,
Craignez de votre ardeur les transports indiscrets :
Dans le nombre d'amants qui courtisent la gloire,
Très-peu sont couronnés des mains de la victoire;
Tel à ses grands exploits enjoignit de nouveaux,
Qui perdit en un jour le fruit de ses travaux.
Tel parut le vengeur de la funeste Troie :
Contre cent rois ligués sa valeur se déploie,
Diomède est vaincu, les Grecs sont accablés,
Ajax fuit en courroux, ses vaisseaux sont brûlés;
Patrocle excite en vain son courage inutile,
Hector à ce héros prend les armes d'Achille;
Mais le Troyen succombe après tant de bonheur,
Dans le fils de Pelée il trouve son vainqueur.309-a
Du fier rival du Czar voyez la destinée,
Favorable neuf ans, neuf ans infortunée.
Si d'aussi grands héros, dans les combats experts,
Ont terni leurs exploits par de honteux revers,
S'ils sont enfin tombés au fond des précipices,
Qu'osez-vous espérer, dans l'art de Mars novices,
Dans nos camps par Bellone à peine encor sevrés,
Sur les devoirs d'un chef faiblement éclairés?
Mais, malgré mes conseils, dans votre ardeur première,
Comme un coursier fougueux lâché dans la carrière,
Vous brûlez de courir et de vous signaler.
Craignez un fol orgueil qui peut vous aveugler,
Craignez votre amour-propre et ses douces amorces,
Éprouvez avant tout vos talents et vos forces,310-a
Et ne prenez jamais des vœux ambitieux
Pour l'effort du génie en vous victorieux.
En vain possédez-vous la force d'un athlète
<268>Qui dans Londres combat au bruit de la trompette,
Admiré par le peuple, applaudi par des sots,310-b
Et de ses bras nerveux terrassant ses rivaux;
Quand vous ressembleriez à ces fils de la Terre,
A ces rivaux des dieux, qui leur firent la guerre,
Qui, pour braver l'Olympe, en leur rébellion
Soulevèrent l'Ossa sur le mont Pélion;
Quand du dieu des combats vous auriez le courage,
Ne vous attendez point à gagner mon suffrage :
Taille, force, valeur, tout est insuffisant,
Minerve exige plus d'un général prudent.
Il faut que son esprit, guidé par la sagesse,
Soit vif sans s'égarer et prudent sans faiblesse;
Qu'il agisse à propos, que, maître des soldats,
Il les fasse mouvoir dans l'horreur des combats;
Au désordre à l'instant qu'il porte un prompt remède,
Et ranime le corps qui s'épuise ou qui cède;
Qu'en guerrier prévoyant il prépare de loin
Tous les secours divers dont l'armée a besoin;
Qu'en ressources fécond, toujours infatigable,
Par sa faute jamais le destin ne l'accable.
Formez-vous donc l'esprit, surtout le jugement,
Attendez tout de vous, rien de l'événement;
Soyez lent au conseil, c'est là qu'on délibère;
Mais lorsqu'il faut agir, paraissez téméraire,
Et n'engagez jamais sans de fortes raisons
Ces combats où la mort fait d'affreuses moissons.
Les forces de l'État sont dans votre puissance,311-a
Des soldats généreux vous guidez la vaillance;
Prompts pour exécuter l'ordre du général,
Ils volent aux dangers dès le premier signal;
Dès que vous commandez, leur cohorte aguerrie
Fond sur vos ennemis, comme un tigre en furie
Tombe sur un lion, lui déchire le flanc,
Le terrasse, l'abat, s'abreuve de son sang.
<269>Le lendemain, grand Dieu! sur ces champs de batailles
Regardez ces mourants, ces tristes funérailles,
Et parmi ces ruisseaux du sang des ennemis,
Voyez couler le sang de vos meilleurs amis;
Voyez dans le tombeau ces guerriers magnanimes,
De votre ambition malheureuses victimes,
Leurs parents éplorés, leurs épouses en deuil,
Qui dans votre triomphe abhorrent votre orgueil.
Ah! plutôt que souiller vos mains de tant de crimes,
Plutôt que vous parer d'honneurs illégitimes,
Périssent à jamais les cruels monuments
Moins dus à vos exploits qu'à vos égarements!
Qui voudrait à ce prix gagner la renommée?
En père bienfaisant conduisez votre armée,
Dans vos moindres soldats croyez voir vos enfants,
Ils aiment leurs pasteurs, et non pas leurs tyrans;
Leurs jours sont à l'État, leur bonheur est le nôtre,
Avare de leur sang, sacrifiez le vôtre,
Tant que Mars le permet, il faut les ménager.
Quand le bien de l'État les appelle au danger,
Lorsqu'entre vos drapeaux et ceux de l'adversaire
Il faut savoir fixer le destin de la guerre,
Alors, sans balancer, sans chercher de détours,
Disposez, attaquez, et prodiguez leurs jours :
C'est là qu'ils feront voir leur ardeur valeureuse,
Et qu'ils sauront périr d'une mort généreuse.
Un sage général dont Bellone est l'appui
Combat quand il le faut, et jamais malgré lui;
Rempli de prévoyance et sûr de sa cohorte,
Il pare tous les coups que l'ennemi lui porte;
S'il pense en général, il s'expose en soldat,
Loin de le recevoir, il donne le combat :
Le sort des assaillants est toujours favorable.
L'effort du fier bélier, par son choc redoutable,
S'ouvre un libre passage, et renverse les tours
D'où l'assiégé tremblant croit défendre ses jours;
Le mur longtemps battu cède au poids qui l'enfonce.
<270>Attaquez donc toujours : Bellone vous annonce
Des destins fortunés, des exploits éclatants,
Tandis que vos guerriers seront les assaillants.
Si malgré tous vos soins la fortune légère
Passe de vos drapeaux à ceux de l'adversaire,
Opposez aux revers un front toujours serein,
Par votre habileté corrigez le destin,
Des guerriers abattus ranimez le courage,
Montrez-vous ferme et grand tant que dure l'orage.
Comme une sombre nuit, par son obscurité,
Des feux du firmament relève la clarté,
De même vos malheurs, autant que la victoire,
Par votre fermeté vous couvriront de gloire.
Ne désespérez point, sûr des secours de l'art :
La sagesse toujours triomphe du hasard.
Si Villars fut forcé de se battre en retraite,
Denain de Malplaquet effaça la défaite;
Souvent un seul moment répare un long malheur,
De vaincu qu'il était, Villars devint vainqueur.
On gagne les combats de diverses manières :
Ceux connus sous le nom d'affaires régulières
Vous offrent313-a des deux parts des efforts généraux;
Des postes retranchés, des hauteurs, des ruisseaux
D'affaires de détail sont les sanglants théâtres;
Le terrain, bien choisi, les rend opiniâtres.
Voyez-vous dans ces champs en bon ordre avancer
Ces deux corps au combat tout prêts à s'élancer?
Leur front, qui s'élargit, s'étend et se déploie,
L'un, dans l'instant formé, va fondre sur sa proie;
Ces escadrons serrés, d'un cours impétueux,
Volent à l'ennemi, qui s'enfuit devant eux;
Dans d'épais tourbillons de soufre et de poussière
On voit briller de loin la lame meurtrière,
Ils pressent les fuyards par leurs coups dissipés,
Du sang des ennemis leurs glaives sont trempés.
Ici, l'infanterie, ayant perdu ses ailes,
<271>Redoute des vainqueurs les attaques cruelles;
Cent tonnerres d'airain élancent le trépas,
Les corps victorieux s'avancent à grands pas,
Sur leur front menaçant brille la baïonnette;
L'ennemi consterné médite sa retraite,
Des bataillons altiers l'attaquent dans le flanc,
Il craint, il cède, il fuit, la terre boit son sang.
Des tubes meurtriers part la poudre enflammée,
Ils lancent le trépas sur la troupe alarmée
Qui s'enfuit dans les champs, en pelotons épars,
Sans ordre, sans conseil, sans chef, sans étendards.
Loin de calmer la peur qu'aux vaincus il inspire,
Loin de faire un pont d'or au chef qui se retire,
Le parti triomphant saisit l'occasion;
Il poursuit chaudement le gain de l'action,
Il veut en ce jour même achever son ouvrage.
Ainsi le grand Eugène, à ce fameux village314-27
Où Tallard et Marsin s'étaient très-mal postés,
D'un effort général donna de tous côtés;
Il enfonça leur centre, il coupa leur armée,
Blenheim vit des Français l'audace désarmée;
Quel nombre de captifs sur ce sanglant terrain!
L'ennemi des Césars fuit jusqu'au bord du Rhin.
Ainsi, près d'Almanza quand les Lis triomphèrent,
Que les lions bretons à leurs efforts cédèrent,
Au trône de Castille, au trône d'Aragon
Berwick, par ses exploits, plaça l'heureux Bourbon.
Voici d'autres combats : là, sur cette colline
Dont le sommet au long314-a sur la plaine domine,
Voyez-vous étendus ces bataillons altiers?
La poussière de loin s'élève dans les airs,
L'ennemi marche, il vient, il se forme, il se range,
Il place sur un front sa puissante phalange;
Son terrain se refuse aux efforts des coursiers,
Derrière sa bataille il met ses cuirassiers.
<272>Le chef s'avance seul, il doit tout reconnaître,
Il peut vaincre en ce jour par un coup d'œil de maître,
S'il fait des lieux, des temps un choix prémédité,
S'il prend son ennemi par son faible côté.
De sa droite s'avance un corps d'infanterie,
Elle franchit les monts malgré l'artillerie;
Dans son poste attaqué, renversé, confondu,
L'ennemi se débande et s'enfuit éperdu,
Le désordre est partout, le vainqueur en profite,
Les cuirassiers oisifs volent à la poursuite.
Ainsi le grand Condé fut vainqueur à Fribourg;
Ainsi, devant son roi, dans un aussi grand jour,
On vit près de Laeffelt le valeureux Maurice,
En offrant à Pluton le sanglant sacrifice
Des Bretons, des Germains, des Bataves fuyards,
Sur le haut de leurs monts planter ses étendards.
Tel est de nos combats l'ingénieux système.
Tous les camps retranchés sont attaqués de même;
Souvent leurs boulevards, sans prudence tracés,
Ont de faibles appuis ou de mauvais fossés;
La moitié des soldats tient des lieux inutiles,
Cloués à leur terrain, ils restent immobiles,
Tandis que l'ennemi fait manœuvrer ses corps,
Et peut en liberté diriger ses efforts.
Rien n'arrête un héros quand Bellone le guide;
Si dans un camp choisi son ennemi timide,
Des maux qu'il a soufferts encore épouvanté,
Craint l'effort dangereux du bras qui l'a dompté,
Et se fait du terrain un invincible asile,
Ce héros le contraint par sa manœuvre habile
A donner ces combats qu'il avait évités.
Il marche, à ce dessein, vers les grandes cités,
Il donne à l'ennemi plus d'une jalousie,
Il se prépare, il feint, il tourne, il se replie,
Il paraît menacer trois villes à la fois,
Elles sont dans l'attente et craignent toutes trois.
Tandis qu'en tous les cœurs la terreur est semée,
<273>De son triste adversaire il affame l'armée,
Des lieux qui l'ont nourrie il coupe les secours,
Et la force aux combats316-a pour prolonger ses jours;
Il faut vaincre ou périr, il n'est plus de retraite :
Le faon ne quitte point la biche qui l'allaite,
Un chef risquera tout plutôt qu'abandonner
Ses dépôts abondants qu'il voit environner.
Lorsque pour se soustraire à votre diligence
Votre ennemi d'un fleuve implore l'assistance,
Et croit vous arrêter par ses rapides flots,
Imitez d'Annibal le plan et les travaux :
Du Rhône les Romains occupaient le rivage,
Il feint, marche plus bas, et se fraye un passage :
Il sait joindre la ruse avec l'activité,
Et trompe le consul qui le croit arrêté.
Soutien de mes rivaux, digne appui de ta reine,
Charles,316-b d'un ennemi sourd aux cris de la haine
Reçois l'éloge pur, l'hommage mérité :
Je le dois à ton nom, comme à la vérité.
Ces flots majestueux, cette rivière immense
Qui sépare à jamais l'Empire de la France,
Ces ennemis nombreux qui défendaient ses bords,
S'opposèrent en vain à tes nobles efforts;
Qu'attendez-vous, guerriers, d'un sage capitaine?
Rhin, ennemis,317-a dangers, rien n'arrête Lorraine,
Charles en quatre corps sépare ses soldats;
A l'endroit où Coigny ne s'y préparait pas,
Son pont, construit soudain, seconde son audace,
Il surprend les Français, il pénètre en Alsace.
Oublierais-je, Louis, le grand jour de Tolhus,317-b
Ces Bataves postés, attaqués et vaincus,
Tes guerriers, dans le Rhin sous tes yeux à la nage.
<274>Gagner en combattant l'autre bord du rivage?
C'est à de tels exploits que Mars daigne applaudir,
Un noble enthousiasme y peut seul réussir.
Si votre cœur aspire à la sublime gloire,
Sachez vaincre, et surtout user de la victoire;
Le plus grand des Romains par ses succès divers,
Le jour qu'à son pouvoir il soumit l'univers,
Sauva ses ennemis dans les champs de Pharsale.
Voyez à Fontenoi Louis, dont l'âme égale,
Douce dans ses succès, soulage les vaincus :
C'est un dieu bienfaisant dont ils sont secourus,
Ils baisent en pleurant la main qui les désarme,
Sa valeur les soumit, sa clémence les charme.
Dans le sein des fureurs la bonté trouve lieu,
Si vaincre est d'un héros, pardonner est d'un dieu.
Suivez, jeunes guerriers, ces illustres modèles :
Alors la Renommée, en étendant ses ailes,
Mêlant à ses récits vos noms et vos combats,
Portera votre gloire aux plus lointains climats.
A ce bruit, la Vertu, du haut de l'Empyrée,
Retrouvant des héros dignes du temps d'Astrée,
Retrouvant des guerriers remplis d'humanité,
Viendra pour vous guider à l'immortalité.
Dans ce temple sacré, bâti pour l'innocence,
Les vertus des mortels trouvent leur récompense :
Là sont tous les esprits dont les savants travaux
Enrichirent l'État, trouvant des arts nouveaux;
Là sont tous les bons rois, les magistrats augustes,
Très-peu de conquérants, mais tous les guerriers justes.
Si vous prenez un jour un vol si généreux.
Si vous vous élevez jusqu'au faîte des cieux.
Souvenez-vous au moins qu'une muse guerrière,
Vous ouvrant des héros la fameuse barrière,
Excitant vos travaux du geste et de la voix.
Par l'appât des vertus a hâté vos exploits.


263-a Imitation de la Henriade, chant VIII, vers 165-168 :
     

Cette arme que jadis, pour dépeupler la terre.
Dans Bayonne inventa le démon de la guerre,
Rassemble en même temps, digne fruit de l'enfer,
Ce qu'ont de plus terrible et la flamme et le fer.

264-25 Le maréchal Finck, mort en 1736. [1735. Voyez t. I, p. 137 et 216.]

266-a Antoine de Pluvinel, regardé comme le meilleur écuyer de son temps, mourut à Paris, le 24 août 1620, âgé de soixante-cinq ans. On a de lui le Manége royal, où l'on peut remarquer le défaut et la perfection du cavalier en tous exercices de cet art digne des princes, fait et pratiqué en l'instruction du Roi (Louis XIII). Le tout gravé et représenté en grandes figures de taille- douce. Imprimé à Paris, 1623, 69 pages in-folio oblong. Il en parut en 1625 une seconde édition revue et complétée d'après le manuscrit de l'auteur, sous le titre de : Instruction du Roi en l'exercice de monter à cheval, etc., in-folio oblong.

269-a De la grandeur. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 363.)

269-b La bataille de Rocroi fut gagnée par le due d'Enghien sur les Espagnols, le 19 mai 1643 : le vieux comte de Fuentes, qui commandait cette infanterie espagnole jusqu'alors invincible, y perdit la vie.

272-a Les champs. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 369.)

277-a A peine quitta-t-il. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 378.)

278-a Tout armés. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 379.)

278-b II Moïse, chap. 13, versets 21 et 22.

281-a A la main. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 384.)

281-b Nicolas Sanson, né à Abbeville en 1600 et mort en 1667, était, avant Guillaume Delisle, le plus renommé des géographes français.

282-a Pour. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 387.)

283-a Voyez ci-dessus, p. 226.

284-a Voyez t. VII, p. 100, et ci-dessus, p. 269.

285-a Voyez t. I, p. 131, et t. VIII, p. 156 et 304.

286-a Voyez t. I, p. 86, et ci-dessus, p. 62.

287-a II Rois, chap. 19, versets 35 et 36.

287-b Ces exploits. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 394.)

288-a Voyez t. I, p. 134.

290-a Marcelle. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 399.) Voyez ci-dessus, p. 71.

290-b Les assauts. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 399.)

291-a Ces. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 400.)

295-a Voyez, t. I, p. 45-48.

295-b

Coligni languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.

Voltaire, la

Henriade

, ch. II, v. 179 et 180.

296-a Ses sombres fureurs. (Variante dé l'édition in-4 de 1760, p. 408.)

301-a Voyez t. III, p. 85, t. VII, p. 18, et le Palladion, ch. I, v. 430-432.

302-a Le découragement, les cris séditieux. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 417.)

304-a Pour rassembler. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 421.)

304-b Voyez t. III, p. 171.

306-26 Affaire de Pintschow. [Ou de Clissow, en 1702.]

306-a Voyez t. I, p. 83-85.

307-a Voyez t. I, p. 132, et t. VIII, p. 97 et 222.

309-a Au lieu des quatre derniers vers, on lit dans l'édition in-4 de 1760, p. 429 :
     

Hector combat Patrocle, il lui prend cette lance
Qui du fils de Pelée exerçait la vengeance;
Mais le sort l'abandonne après tant de bonheur,
Le Troyen dans Achille a trouvé son vainqueur.

310-a Tout ce passage est imité de l'Art poétique de Boileau, chant I, v. 11 et 12.

310-b Par les sots. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 430.)

311-a En votre puissance. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 432.)

313-a Nous offrent. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 435.)

314-27 Höchstädt.

314-a Au loin. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 438.)

316-a Au combat. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 440.)

316-b Voyez t. III, p. 50-54, p. 124 et suivantes, et p. 150 et suivantes.

317-a Ennemi. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 441.)

317-b Le fameux passage du Rhin au gué du Tolhuys eut lieu le 12 juin 1672. Voyez t. I. p. 108.