<243>L'on t'enverra tout droit en Sibérie,
Où Sa clémente et douce Majesté
Te permet même, ô grâces sans pareilles!
D'oser porter nez, langue, et deux oreilles.
Ce compliment m'animait de fureur,
Mais il fallut retenir mon grand cœur.
L'un, m'approchant, me dit : C'est bagatelle
D'aller là-bas; ce n'est chose nouvelle.
Tu n'es, Franquin, du nombre des premiers,
Ni ne seras sûrement des derniers.
Vois-tu ces gens que Pétersbourg fait naître?
Pendant un temps ils restent parmi nous;
Mais tôt ou tard on les voit disparaître,
En Sibérie ils s'engloutissent tous.
Ce Menschikoff, favori de son maître,
Lors de sa chute eut des destins moins doux;
Un Ostermann languit en Sibérie,
Le grand Münnich y finira sa vie,
Le fier Biron ne reverra le jour,
Y périra bientôt la jeune cour;
Et tu pourras, Franquin, trouver étrange
Que dans ce nombre avec eux l'on te range!
Enfin, Darget, dans ce pressant danger,
Le seul parti qui me restait à prendre
Fut de souffrir d'un cœur ferme, et d'attendre
Ce que pourtant je n'aurais pu changer.
L'on m'emmena vers ces froides contrées
Où les glaçons des mers hyperborées,
Même en été, dans les jours les plus clairs,
Vous font trouver des éternels hivers.
Le doux soleil en vain prétend y luire,
C'est dans ces lieux que la nature expire;
Tout semble mort, tout semble inanimé.
La terre en vain s'efforce de produire,
Et si l'on voit quelque grain clair-semé,
Le froid d'abord se presse à le détruire.
On trouve là vingt sortes d'exilés.