<244>Les uns, courant les bois et les collines,
Pour se nourrir prennent des zibelines,
Et très-souvent par le froid sont gelés;
D'autres, qu'on fait travailler dans les mines,
Sont par la mort promptement enlevés;
D'autres encor, pour des péchés atroces,
Sont exposés dans le fond des déserts;
Ils sont mangés par les bêtes féroces,
Ou bien la faim termine leurs revers.
Pour moi, je fus, sans en savoir la cause,
A deux cents milles au delà d'Archangel,
Mis dans le fond d'un cul de basse-fosse,
Sans plus revoir le vif éclat du ciel.
J'y fus un an presque tout imbécile,
Enseveli dans cet exil servile.
Mais de mon père alors me souvenant,
Et certains mots barbares du grimoire,
Évaporés presque de ma mémoire,
Fort à propos alors me rappelant,
Je hasardai, par un effort terrible,
D'escalader ce mur inaccessible.
Soit que mon bras me sauvât de prison,
Soit que ce fût l'ouvrage du démon,
Par un bonheur bien extraordinaire,
Pour cette fois je me tirai d'affaire.
Je courus vite à travers des forêts,
Tantôt barré par d'immenses marais,
Tantôt suivant une route arbitraire,
Et combattant pendant tout le chemin
Contre le froid, la longueur du voyage,
L'épuisement, l'ardente soif, la faim,
Le désespoir, et le climat sauvage.
En opposant un cœur ferme au destin,
Des loups, des ours je fis un grand carnage,
Passant toujours à travers les déserts.
Un jour, je crus voir terminer ma vie :
Des hurlements font retentir les airs;