<245>En même temps, trente loups en furie
De tous côtés viennent pour m'attaquer.
Sur un sapin j'allai vite grimper,
Et de là-haut les accablant de branches,
A deux vieux loups je démis les deux hanches;
De gros cailloux que j'avais conservés,
A d'autres loups les yeux furent crevés :
Hors de combat j'en mis une douzaine.
Pressé de faim, j'étais en grande peine,
Quand un lion, venant par des détours,
Dessus les loups qui m'entouraient se jette.
L'extrémité me fournit des secours;
Je taille un bois comme une baïonnette,
Puis du sapin je descendis à bas,
Et m'élançant au milieu des combats,
Dans peu, les loups mordirent la poussière.
Je crus alors, ainsi que Godefroi,a
De m'attacher ce lion débonnaire,
De m'en servir comme d'auxiliaire;
Mais promptement il regagna les bois.
Je vis enfin, après plus de trois mois,
Ayant couru des fortunes bizarres,
Des bestiaux; non loin de là des toits :
C'étaient des lieux qu'habitent des Tartares.
Je vins chez l'un, qui, rempli de bonté,
Fidèle aux lois de l'hospitalité,
Me recueillit au sein de sa famille;
Il m'amena sa femme avec sa fille :
Choisis, dit-il, en toute liberté.
De ses troupeaux il prend une génisse,
A ses faux dieux il fait un sacrifice;
Il me servit les morceaux délicats,
Et me fit boire un verre d'eau-de-vie.


a Dans la première croisade, en 1098, le chevalier français Geoffroi de la Tour tua d'un coup d'épée un serpent acharné contre un lion. Le lion reconnaissant s'attacha à son libérateur, et ne le quitta plus.