<262>Contre la peur le bon saint le rassure,
De ce combat déplore l'aventure,
Et lui promet le sûr appui du ciel.
En même temps, dans ce danger mortel,
A son secours, au centre de l'armée,
Il fait venir saint Charles Borromée.
Le saint arrive, et travestit son air;
Dessous son nez il dresse sa moustache,
Couvre son chef d'un fort armet de fer,
Et sur son bras il charge sa rondache.
Ce saint montait la fleur des palefrois;
Bien mieux valait que Rabicana cent fois,
Et devant lui le Podargea s'éclipse.
Il avait eu ce cheval de saint Jean,
Qui, le tirant hors de l'Apocalypse,b
Le lui vendit à certain prix d'argent.
Lorsque le saint dans ce fol équipage
Se présenta devant le saint des ponts,
L'on éclata sur ses atours bouffons;
Ce corps battu prit un riant visage,
On ne vit plus des marques de terreur.
Ce tour rusé part de Népomucène,
Et dans l'instant on vit changer la scène.
Il savait bien que, pour chasser la peur,
Remède sûr, c'est d'apprêter à rire;
Il réussit, il leur rendit le cœur,
Bannit la crainte, et réveilla leur ire.
De ce tour-là, quoique subtil et fin,
Luther, Calvin, Geneviève, Hédewige,
Sentent d'abord quel est le but malin;
Ils courent tous où le danger l'exige,
Dans les horreurs de ces funèbres champs,
Parmi les morts, les blessés, les mourants.
a Cheval de bataille de différents héros du Roland amoureux du Bojardo, ainsi que du Roland furieux de l'Arioste. Pour Podarge, voyez ci-dessus, p. 188.
b Chap. VI, v. 2, et chap. XIX, v. 11.