<186>Ils se consumaient tous en projets superflus;
Je n'ai fait que passer, ils n'étaient déjà plus.a
Où sont les compagnons de mon adolescence?
Où sont ces chers parents, auteurs de ma naissance?
Ce frère qui n'est plus, et vous, ô tendre sœur!
Vous, qui ne respirez que dans ce triste cœur?
Que dis-je? où sont enfin ces familles entières,
Ces générations anciennes et dernières?
Ah! tout fut moissonné par la faux du trépas.
Examinez le sort des plus puissants États,
Les Perses et les Grecs, et Rome après Carthage.
Leur éclat un instant précéda leur naufrage;
Colosses redoutés, par l'âge ils ont péri,
Ne laissant qu'un vain nom couvert de leurs débris.
Et vous, toujours rebelle aux lois de la nature,
A l'indocilité vous joignez le murmure!
Indifférent au bien et trop sensible au mal,
Vous voulez vous soustraire au destin général!
Goûtez, goûtez plutôt, supprimant votre plainte,
Un bonheur limité qu'étouffe votre crainte;
Il vous fut accordé, mais court, mais passager,
Et jamais pur; le mal a dû s'y mélanger.
Mais vous me répondez : « Je vis, je suis sensible,
Mon corps à la douleur n'est point inaccessible,
Je sais qu'il faut souffrir le mal et le trépas;
Votre nécessité ne me console pas. »
Quoi! vous ne voyez point qu'ici-bas la souffrance
N'épargne ni vertu, ni pouvoir, ni naissance,
Atteint un criminel ainsi qu'un innocent?
Chacun s'y voit sujet, et nul n'en est exempt;
Tout ce que la vertu partage avec le crime
N'est un mal qu'à l'égard d'un cœur pusillanime.
A quoi sert la constance et l'intrépidité,
Si ce n'est pour braver les coups d'adversité?
a Racine dit dans Esther, acte III, scène 9 :
Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus.