<66>Quand j'entrai dans le monde en ma jeune saison,
Je dus tout au hasard et rien à la raison;
Ardent, présomptueux, je m'en souviens encore,
Je brûlais d'imiter des héros que j'honore;
Du centre des plaisirs et des bras du repos,
Sur les traces de Mars je volais aux travaux.
Un vieux Sertoriusb de l'école d'Eugène
Pour traverser mes vœux fut envoyé de Vienne;
Tout ce que peut fournir l'expérience et l'art
Fut employé par lui pour fixer le hasard.
Dans ma sécurité Neippergb m'allait surprendre,
J'ignorais ce qu'un sage était près d'entreprendre,
J'ignorais jusqu'aux lieux où s'assemblaient ses corps,
Son approche, et surtout ses desseins, ses efforts.
Un transfuge arrivé découvrit le mystère;
On se prépare, on marche, on joint son adversaire;
La victoire pour nous décida des combats.
La fortune en ces temps accompagnait mes pas;
Sous sa protection mon esprit devint sage.
Depuis, par son penchant inconstant et volage
Désertant nos drapeaux, prompte à m'abandonner,
Chez Daun et sur ses camps nous la vîmes planer.a
La perfide, en marquant sa barbare allégresse,
Persécute à présent ma prochaine vieillesse;
Les dangers, les écueils remplissent mes chemins,
Et la plume et l'épée échappent de mes mains.
Vous avez vu, ma sœur, dans des jours que j'abhorre,
De l'audace et du crime insensément éclore
Ce monstre politique, insolent, égaré,
De rapines, de sang, de meurtres altéré,
Qui réunit en lui tant d'intérêts contraires,
Qui rassemble en ses flancs d'éternels adversaires,
Caresse avec fureur ses dangereux serpents,
Prêt à se déchirer, tient sa rage en suspens
Pour assurer ma chute et presser ma ruine.


b Voyez t. II, p. 70, 80 et suivantes.

a Bataille de Kolin. Voyez ci-dessus, p. 44.