<99>Je respirais la mort, j'appelais le danger;
Mais quel cruel emploi pour une âme égarée,
Dans un chagrin mortel au désespoir livrée,
De porter, dans l'horreur qui dévorait mes jours,
Aux places en danger de rapides secours,
D'opposer aux essaims que vomissait la terre,
De peuples ramassés, dévoués à la guerre,
En cent endroits lointains les mêmes défenseurs,
De prévoir, calculer, conjurer les malheurs!
Je sens que ce fardeau m'accable et m'importune.
Heureux qui, dégagé du joug de la fortune,
Inconnu, mais tranquille en son obscurité,
S'afflige sans témoins et pleure en liberté!
Quand pourrai-je briser mes entraves dorées?
Quand pourrai-je quitter ces funestes contrées,
Et hâter ce moment, à mes chagrins si doux.
Qui me réunira, divine sœur, à vous?
Nos ombres, dès ce jour des dieux favorisées,
Parmi le peuple heureux des plaines Élysées,
Sans craindre le destin, qui ne peut les troubler,
De tant de maux soufferts pourraient se consoler :
Et nos deux cœurs, brûlant de flammes éternelles.
Aux respectables lois de l'amitié fidèles,
Cultiveraient en paix cette tendre union.
Quoi! ma raison s'égare; ah! quelle illusion
Me dépeint de ces lieux l'image mensongère?
D'un songe séduisant la vapeur passagère
Sur nos sens engourdis règne dans le sommeil;
L'austère vérité le dissipe au réveil.
Oui, la raison détruit par sa clarté réelle
Le fantôme chéri d'une vie immortelle;
Tout ce qu'on se promet du ciseau d'Atropos,
C'est un oubli profond, un durable repos.
L'irrévocable loi met nos cendres éteintes
Hors du pouvoir des dieux, à l'abri des atteintes;
Là nous ne craindrons plus ces troubles orageux,
D'un aveugle destin enfants impétueux.