CONGÉ DE L'ARMÉE DES CERCLES ET DES TONNELIERS.
Adieu, grands écraseurs de rois,
Grands héros bouffis d'arrogance,
Délégués de ce roi de France
Qui croit m'asservir sous ses lois;
Adieu, Turpin,80-a Broglie,80-b Soubise,80-a
Et toi, Saxon,80-1 dont les exploits
Sont couronnés par la sottise,
Aussi fou, quoiqu'à barbe grise,
Que tu le parus autrefois
Près du Timoc qui t'éternise.
<71>Je vous ai vu comme ..
Dans des ronces en certain lieu
Eut l'honneur de ....
Ou comme au gré de sa luxure
Le bon Nicomède à l'écart
Aiguillonnait sa flamme impure
Des .......
Ah! quel spectacle a plus de charmes
Que le c .. dodu des héros,
Lorsque par le pouvoir des armes
On leur a fait tourner le dos!
Les voir ainsi dans les alarmes,
C'est s'assurer dans l'avenir
D'un nom que rien ne peut ternir.
Je vous l'avoue en confidence,
Qu'après ma longue décadence,
Ce beau laurier de ce taillis,
Qu'à votre aspect je recueillis,
Je le dois à votre derrière,
A votre manœuvre en arrière.
Ah! tant que le sort clandestin
Vous placera dans ma carrière,
Tournez-moi toujours la visière,
Pour le bonheur du genre humain.
C'est donc là, qui pourrait le croire?
Sur quoi nous fondons notre gloire;
Et voir un c .. mal aguerri
S'appelle, en langage fleuri
Dont on pomponne mainte histoire,
Être l'amant le plus chéri
De Bellone et de la Victoire,
Et du dieu Mars le favori.
O fortune inconstante et folle!
Tu veux que dans tous les climats
D'un c . . le mouvement frivole
Décide du sort des États.
<72>S'il se tourne sans qu'on l'ordonne
Dans l'acharnement des combats,
La victoire nous abandonne,
Et la sanguinaire Bellone,
En profitant de ces moments,
Du plus inébranlable trône
Bouleverse les fondements.
Si j'osais, Dieu me le pardonne,
Rimer en on tout comme en u.
Jamais poëte dans le monde
Depuis Homère n'aurait eu
Une matière plus féconde.
Mais la décence et la vertu,
Toujours aux Muses départie,
Dont mon style s'est revêtu,
Veut même que dans l'impromptu
Je respecte la modestie.
Laissons donc l'u tout comme l'on,
Et, sur des rimes moins cyniques,
De tous ces tonneliers82-2 comiques
Prenons congé sur l'Hélicon.
Partez tous, héros éphémères,
Héros musqués et si polis;
Dans vos quartiers ensevelis,
Allez vous bercer des chimères
D'exploits si galants, si jolis.
Pompadouriques coryphées,
Érigez-vous de beaux trophées,
Mais que ce soit en d'autres lieux.
Ou si, persistant dans vos haines,
Toujours joints à mes envieux,
Vous revenez dans ces arènes,
<73>J'attends de vos soins gracieux
Toujours de semblables étrennes.83-3
C'est ainsi, fameux capitaines,
Qu'en quittant ces bords périlleux,
Ces camps et ces fertiles plaines,
Je vous fais mes derniers adieux.
A Freybourg, le 6 novembre 1757.
80-1 Le prince de Saxe-Hildbourghausen, battu en Hongrie au bord du Timoc. [C'est le maréchal comte de Khevenhüller qui fut battu près du Timoc, le 28 septembre 1787; le prince Joseph de Saxe-Hildbourghausen avait éprouvé le même sort à Banjaluka en Bosnie, le 4 août précédent. Voyez t. I, p. 193 et 196, et t. IV, p. 166 et 167.]
80-a Le Roi parle déjà de ces deux officiers supérieurs français t. IV, p. 162, 166, 168 et 170.
80-b Le comte François de Broglie, colonel, mentionné ici, fut blessé mortellement et fait prisonnier à Rossbach; il mourut le lendemain à Mersebourg. C'était le troisième fils du maréchal duc de Broglie, dont il a été fait mention t. II, p. 108, et t. XI, p. 90. Voyez aussi t. IV, p. 115 et 212.
82-2 On appelait les Français tonneliers, parce qu'ils avaient avec eux les troupes des cercles [de l'Empire].
83-3 Ils avaient dit qu'ils voulaient donner des étrennes au roi de Prusse.