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ÉPITRE A D'ALEMBERT, SUR CE QU'ON AVAIT DÉFENDU L'ENCYCLOPÉDIE ET BRULE SES OUVRAGES EN FRANCE.

Un sénat de Midas en étole, en soutane,
A proscrit, nous dit-on, vos immortels écrits;
Son imbécillité condamne
Les sages et les beaux esprits :
La superstition, l'erreur et l'ignorance,
Les juges du bon sens seraient-ils à Paris?
Avec quelle fureur, avec quelle impudence
Ces prêtres de Baal, que l'enfer a vomis,
Ont exercé leur violence
Sur l'art de raisonner, à leurs arrêts soumis!
Telle parut jadis dans ce jour de ravage
De leurs cruels aïeux la sanguinaire rage,
Quand Paris s'égorgeait la Saint-Barthélémy.
Barbares Visigoths, qu'osez-vous entreprendre?
Opprobre de nos jours, votre férocité
Vous empêche donc de comprendre
Que, malgré les complots de votre iniquité,
La raison et la vérité
Sont comme le phénix, qui renaît de sa cendre!
Nonobstant les brouillards qu'exhalaient les erreurs
De vos conciles et synodes,
Galilée eut raison, et vos inquisiteurs
<130>N'ont pu par les bûchers, ni les cris des docteurs,
Anéantir les antipodes.
Mais qui vous rend persécuteurs?
Pourquoi votre rage insensée,
Par les convulsions de sa fureur pressée,
S'offense-t-elle enfin que de savants auteurs,
Organes du bon sens, nous peignent leur pensée?
O comble de forfaits! ô siècle! ô temps! ô mœurs!
Je laisse en paix l'amas de vos songes trompeurs,
De votre système apocryphe;
Le crime vous décèle, indignes imposteurs :
Le vicaire de Dieu, votre premier pontife,
Protége des conspirateurs,
Des monstres portugais dont les complots perfides
Armaient contre leur roi des sujets parricides;
L'événement l'atteste, et l'Europe en frémit,
Le sage qui l'apprend en silence gémit.
Quoi! Rome en ce siècle servile
Devient le refuge et l'asile
Du crime, qui s'y raffermit!
Un ordre qui d'Ignace a reçu sa doctrine
Complote dans son sein le meurtre et la ruine
Des États et des citoyens!
Osez-vous, féroces chrétiens
Qui jusqu'au sanctuaire, au milieu de vos temples,148-6
D'attentats inhumains fournissez des exemples,
Calomnier encor la vertu des païens?
Si vous les accusez de crimes,
Furent-ils comme vous barbares et cruels?
Songez au nombre de victimes
Dont l'inquisition a rougi les autels.
Votre Dieu des âmes sublimes
Exige des vertus, non le sang des mortels;
Platon dirait, voyant vos fêtes triomphales,
Ces innocents menés aux bûchers solennels.
Que vous sacrifiez ces victimes fatales
<131>A des déités infernales.
Ah! jusqu'à quand les nations
Souffriront-elles ces scandales
Et l'abus des religions?
Voilà, voilà pourquoi ces monstres à tonsure,
Ces charlatans de l'imposture,
Défenseurs criminels des intérêts du ciel,
Sont pleins d'acharnement, de fureur et d'envie,
Et contre la raison, et la philosophie;
Voilà pourquoi des flots d'amertume et de fiel
Sont répandus sur votre vie.
Ces fourbes, en tremblant dans leur obscurité,
Craignaient que la raison, d'une vive lumière
N'éclairant de trop près leur coupable carrière,
Nous décelât la vérité.
Laissez ramper dans la poussière
Ces fléaux de l'humanité;
Qu'ils insultent le sage en disant le bréviaire,
Qu'ils confondent l'orgueil avec l'humilité;
De leur croassement la clameur passagère,
O sage d'Alembert! pour votre esprit austère
N'est qu'un son frivole, un vain bruit,
Qui sur l'aile des vents se dissipe et s'enfuit.
Amant de vérités solides, éternelles,
Sans vous embarrasser en d'absurdes querelles,
Du haut du firmament à vos calculs soumis
Méprisez tous vos ennemis.
Continuez en paix, loin de leurs cris rebelles,
Vos découvertes immortelles;
Tandis que leur audace ameute des pervers,
Et qu'à son tribunal l'idiot vous assigne,
Par un sort plus noble et plus digne,
Vous éclairerez l'univers.

(Février 1760. Voyez la lettre de d'Alembert au Roi, du 11 mars 1760.)


148-6 L'hostie empoisonnée qu'ils donnèrent à un empereur, je crois Henri VII.