AU MARQUIS D'ARGENS, APRÈS QUE LES AUTRICHIENS EURENT PRIS SCHWEIDNITZ.
Les biens et les maux confondus
Dont le ciel a semé le cours de nos années,
Par leur flux et par leur reflux
Bouleversent sans fin nos frêles destinées.
L'avenir est caché, les dieux seuls l'ont connu,
L'homme à le pénétrer s'abuse et perd ses peines;
Ses calculs sont fautifs, ses efforts superflus,
Il se trouve écrasé par des coups imprévus.
Ah! marquis, les choses humaines
Sont toutes frivoles et vaines.
Lorsqu'un malheur subit vient de nous arriver,
Nous commençons par l'aggraver,
Il est désespérant, insupportable, extrême;
Bientôt, ne pensant plus de même,
Nous finissons par le braver.
Pourquoi nourrir en nous autant d'inquiétudes?
L'empire des vicissitudes
Est le lieu que nous habitons.
Au sein des maux que nous souffrons,
Dans les épreuves les plus rudes,
Ainsi que le sage pensons.
<141>Aujourd'hui, des revers le poids nous importune;
Demain, l'inconstante fortune
Nous favorisera, marquis, et nous rirons.
Ne murmurons donc plus, et cessons de nous plaindre
D'un mal qui ne saurait durer;
Le sage ne doit pas trop craindre,
Et moins encor trop espérer.
A Nossen, ce 3 d'octobre 1761. (Dans la Correspondance du Roi avec le marquis d'Argens, cette poésie forme le commencement de la lettre de Frédéric, du 13 août 1762. Loudon prit Schweidnitz le 1er octobre 1761; Tauentzien le reprit le 9 octobre 1762.)