A LA PRINCESSE AMÉLIE, SUR UNE NÉGOCIATION DE PAIX QUI ÉCHOUA.
Volez, mes vers, à Magdebourg,
Allez chez ma sœur pour lui dire
Que de sa troisième hégire161-7
Nous atteignons le dernier jour.
Ce fier triumvirat161-a qui voulait me proscrire
Paraît agonisant, et sa fureur expire;
Du Très-Chrétien battu les guerriers affaiblis,
Revenus d'un profond délire,
Ne feront plus flotter les lis
Parmi les aigles de l'Empire.
Mais après leur défection,
L'orgueil, l'acharnement, l'extrême ambition
Dont brûle l'implacable reine,
Le formidable apprêt, joint au puissant effort
De la souveraine du Nord,
Feront encor rougir l'arène
D'un sang dont leur rage inhumaine
Voudrait désaltérer l'insatiable Mort.
Ainsi nos vœux fervents ont adouci le sort;
Jouet des aquilons et des fureurs de l'onde,
<143>Dans peu notre nef vagabonde
Sur les flots apaisés pourra voguer au port.
Mais qu'il en coûtera de travaux, cette année,
Avant d'avoir atteint cette heureuse journée
Où la paix, amenant la joie et les plaisirs,
Arrêtera le cours des pleurs et des soupirs!
Courez, volez, heures trop lentes,
Surpassez, s'il se peut, mes rapides désirs;
Conduisez sur nos bords ces déités charmantes,
Les Muses, Minerve et Thémis.
Que Mars au front d'airain, de ses flèches sanglantes,
N'atteigne que nos ennemis,
Et que nos demeures riantes
Dans leurs retraites innocentes
Nous rassemblent enfin avec tous nos amis.
Alors, loin de ces champs que Bellone désole,
Au bout de mon pénible rôle,
Détestant ce théâtre où souvent j'ai monté,
Et souvent mal représenté
D'un tragique héros le fastueux symbole,
Je pourrai vivre en liberté,
Sacrifiant avec gaîté
Au bonheur d'un peuple frivole
L'ambition cruelle et folle
Et l'ennuyeuse gravité.
De Meissen, 1760. (En novembre, après la bataille de Torgau.)
161-7 Fuite de Mahomet de la Mecque. Pendant la guerre, la cour se retira trois fois de Berlin à Magdebourg.
161-a Voyez ci-dessus, p. 137.