<168>Les dieux, jaloux de leurs bienfaits,
A mon bonheur portent envie,
Et le trépas, d'un bras impie,
S'apprête à déchirer, ô comble de forfaits!
Les vertueux liens de deux amis parfaits.
Non, jamais la nature avare
N'avait de ses arides mains
Prodigué de présent plus parfait ni plus rare
Qu'elle le fit, ma sœur, vous donnant aux humains.
Peut-être ce séjour, où l'audace et le crime
Ne cessent de se déborder,
Est indigne de posséder
Un mérite aussi rare, une âme aussi sublime.
Hélas! quand mon cœur révolté
Contre tant de méchanceté
Détestait les humains et leur scélératesse,
Alors, de vos vertus rappelant la splendeur,
Je pardonnais en leur faveur
A tous les vices de l'espèce.
O divine Amitié! dont l'aide et la douceur,
Secourable à mes maux, apaisa leur douleur,
Ne souffrez pas, mes dieux, qu'en vain je vous implore :
Arrachez au trépas une sœur que j'adore,
Agréez mon encens, mes larmes, mes soupirs.
Si votre culte fut l'objet de mes plaisirs,
Si jusqu'aux cieux ma voix de vous se fait entendre,
Exaucez les vœux d'un cœur tendre,
Et daignez accorder à mes ardents désirs
Le seul bien qu'à jamais de vous j'ose prétendre.
Conservez les précieux jours
De votre plus parfait ouvrage;
Qu'une santé brillante accompagne leur cours,
Et qu'un bonheur égal soit toujours leur partage.
Si l'inflexible sort qui nous donne la loi
Demande un sanglant sacrifice,
Mes dieux, implorez sa justice,
Que son choix rigoureux ne tombe que sur moi.