<175>Jusqu'en ses fondements sapé par les Anglais;
Couvrant tous ces objets d'un voile de prudence,
Et lâchant quelques mots remplis de complaisance,
Au genre humain rendra la paix.
Et moi, quittant l'harnais, et le casque, et l'épée,
De trop de sang humain trempée.
Je partirai soudain d'ici;
J'irai, consolant ma vieillesse
Par l'étude de la sagesse,
M'ensevelir à Sans-Souci.

Ce lieu me vaut les Délices.a Par illusion je croirai vivre hors le grand monde, et quelquefois j'y serai solitaire. Jouissez de votre ermitage. Ne troublez pas les cendres de ceux qui reposent au tombeau; que la mort au moins mette fin à vos injustes haines. Pensez que les rois, après s'être longtemps battus, font enfin la paix; ne pourrez-vous jamais la faire? Je crois que vous seriez capable, comme Orphée, de descendre aux enfers, non pas pour fléchir Pluton, non pas pour ramener la belle Emilie, mais pour poursuivre dans ce séjour de douleur un ennemi que votre rancune n'a que trop persécuté dans ce monde. Sacrifiez-moi votre vengeance, ou plutôt immolez-la à votre réputation. Que le plus grand génie de la France soit aussi l'homme le plus généreux de sa nation. La vertu, votre devoir, vous parlent par ma bouche; n'y soyez pas insensible, et faites une action digne des belles maximes que vous débitez avec tant d'élégance et de force dans vos ouvrages. Nous touchons à la fin de notre campagne; elle sera bonne, et je vous écrirai, dans une huitaine de jours, de Dresde, avec plus de tranquillité et de suite qu'à présent. Adieu, négociez, travaillez, jouissez, écrivez en paix, et que le dieu des philosophes, en vous inspirant des sentiments plus doux, vous conserve comme le plus bel organe de la raison et de la vérité.

Federic.


a Nom d'une terre que Voltaire possédait près du lac de Genève, et où il alla demeurer au mois de mars 1755.