<29>Vous voir, vous parler, vous entendre,
Profiter de vos entretiens.
A quoi pourrais-je plus prétendre?
Ce sont là mes suprêmes biens.
Et vous, beaux-arts, qui dans tout âge
Couronnez le bonheur du sage,
Malgré tous les assauts que l'enfer en courroux
M'a livrés dans sa sombre rage,
Relevé du tombeau, je vis encor pour vous.
Mont révéré, mont où j'honore
Les chastes filles d'Apollon,
Je pourrai te revoir encore;
Et, baissant ma lyre d'un ton,
Au lieu de célébrer l'aurore
Et l'appareil pompeux d'un beau soleil levant,
Je saurai destiner mon chant
A vanter la douceur d'un soleil qui colore
De ses derniers rayons les rives du couchant.
Ainsi nous peignons les images
Des objets qui frappent nos sens.
Lorsque j'étais dans mon printemps,
Je ne pouvais chanter que les amours volages;
A présent, je gémis des funestes ravages
Des soucis, des maux et des ans.
Tout doit se succéder, chaque chose a son temps.
Mais aux noires vapeurs ne soyons point en proie :
Nos jours ne durent qu'un moment;
Si ce moment est plein de joie,
Il s'écoule plus doucement.
Vivons autant que va le fuseau de la Parque;
J'oublie et Caron, et sa barque.
Illusions, douces erreurs,
Semez encor de quelques fleurs
Le bout de ma longue carrière,
Et que la Volupté, me fermant la paupière,
Sur mon tombeau verse des pleurs.
Ainsi, sans que mon âme éprouve des terreurs,