<33>Dans ce tableau qu'un rêve à tes yeux vient offrir,
Tu te crois habitant des Iles Fortunées.
Mais un pouvoir fatal règle tes destinées,
Tu ne vis que pour voir souffrir,
Te plaindre, gémir, et mourir;
Après avoir perdu tout ce que ton cœur aime,
Ton tour vient, tu péris toi-même.
Voilà comment l'illusion
Disparaît au flambeau qu'allume la raison.
Le sort du genre humain, au vrai, tel qu'il existe.
De maux et de chagrins rempli,
Serait plus funeste et plus triste
Sans l'aide et le secours du bienfaisant oubli :
Avec une éponge il efface
Des maux les plus cuisants jusqu'à la moindre trace.
Par lui le souvenir en est même aboli.
Rien n'est fait pour durer, le bien et le mal passe.
Mais, ma sœur, si le temps peut calmer la douleur.
S'il bannit à la fin le désespoir, l'horreur
D'une perte vive et récente,
Pourquoi donc la raison, si sage et si prudente,
Ne pourrait-elle pas dominer sur nos sens,
Ramener nos esprits par sa voix éloquente,
Et, tenant lieu pour nous de l'éponge du temps,
Imposer le silence à nos gémissements?
Si tout est arrangé, si tout est nécessaire,
Ce qui se fait a dû se faire;
Dans l'Olympe nos cris ne sont point entendus,
Et les jours qu'on se désespère
Ne sont que des moments perdus.
Passe encor qu'une âme commune,
En des malheurs inattendus,
Succombe sous son infortune;
Mais quand on a reçu du ciel
Le noble cœur d'une héroïne,
Lorsqu'on a comme vous l'âme toute divine,
On dompte les sanglots et le chagrin cruel.