<38>Aux bords du Pont-Euxin, mon illustre voisine
Fait trembler le croissant au nom de Catherine,a
De l'Araxe au Danube étendant ses exploits,
Tient les fiers Musulmans sous ses augustes lois :
La fortune est pour elle inutile à sa gloire,
Elle va constamment de victoire en victoire,
Et son grand cœur préfère, au comble des succès,
A ses lauriers sanglants l'olive de la paix.
Moi, Mantchou chinoisé, mon tapabor en tête,
De son rare bonheur je me fais une fête,
Et ne puis envier ses triomphes voisins,
Qui sont le digne fruit des plus vastes desseins.
La Renommée, après ces fameuses querelles,
Des peuples d'Occident nous donne des nouvelles;
Elle suffit à peine à ces vastes récits,
Et nous raconte enfin en des termes choisis
Qu'il se fait à Paris des choses sans pareilles.
Les Welches depuis peu produisent des merveilles,
Ils couvent un projet plus digne des Anglais.
Des Grecs et des Romains, que des légers Français.
Moi qui, toujours fixé dans ma terre natale,
Suçais avec le lait la morgue impériale,
N'aurais jamais quitté qu'au moment de la mort
Mes sujets, mes États, et mon trône tout d'or,
A présent un désir qui passe la croyance,
Digne d'un empereur et d'un sage qui pense,
M'entraîne vers Paris, où, malgré les censeurs,
On veut récompenser les talents enchanteurs.
A l'Homère français s'érige une statue;a
Ah! pour me rajeunir qu'on l'élève à ma vue,
Ce spectacle charmant réveille mes esprits;
Partons subitement, et volons à Paris.
J'aime à voir le grand homme, honoré dès sa vie,
a Voyez t. VI, p. 30.
a Le sculpteur Pigalle avait été chargé d'exécuter cette statue, que les gens de lettres érigeaient à Voltaire. Voyez la lettre de Frédéric à d'Alembert, du 28 juillet 1770.