<88>Évite en tout l'air d'une boucherie;
Qu'un rôt coupé ne soit jamais sanglant,
Un tel objet d'horreur est révoltant.
Un cuisinier qui brigue la louange
Doit déguiser les cadavres qu'on mange;
En cent façons il peut les disséquer,
D'ingrédients il compose un mélange,
La farce enfin lui sert à tout masquer.
Voilà par où le fameux Noël brille.
Il imagine, et jamais il ne pille
De vieux menus d'autres maîtres d'hôtels;
C'est un Newton dans l'art de la marmite,
Un vrai César en fait de lèchefrite,
Et, surpassant nos héros actuels,
Il les vaut tous aux palais sensuels.
Mais si ces vers tombaient à l'improviste
Entre les mains d'un bourru janséniste,
Zélé dévot, et prompt à s'enflammer,
Je crois d'ici l'entendre déclamer
Contre ce monstre impie et sybarite
Qui prône trop la volupté maudite,
Et vous loger l'auteur, sans le nommer,
Au gouffre affreux que Lucifer habite.
Tout doux, tout doux, monsieur le cénobite,
Plus de bon sens, de grâce, moins d'humeur;
Entre nous deux c'est la raison, docteur,
Qui seule doit juger notre querelle.
A ses décrets ne soyez point rebelle;
Elle vous dit, si vous pouvez l'ouïr :
Prétends-tu donc laisser évanouir
Les dons du ciel qu'il verse en abondance?
S'il les donna, selon toute apparence,
Ce fut afin que l'on pût en jouir.
User de tout, c'est le conseil du sage;
Savoir jouir sans abuser de rien,
Souffrir le mal, s'il vient, avec courage,
Et bien goûter l'avantage du bien.