PROLOGUE DE COMÉDIE.24-a
ACTEURS :
Les neuf Muses.
Trois parlent dans le dialogue; les autres, avec leurs attributs, ne font qu'acte de comparution. Celles qui parlent sont :
Melpomène,
Calliope
et Thalie.
Notre gloire est donc éclipsée!
Mes sœurs, que deviendra notre antique grandeur?
Le mérite supérieur
D'une auguste princesse au double mont placée
Ternit notre splendeur.
Nos talents partagés sont réunis en elle,
Mes sœurs, elle est universelle.
En naissant, tous les dieux la comblèrent de dons :
Apollon la doua de ce puissant génie,
Sublime créateur de nos productions;
Le dieu du goût, suivi du dieu de l'harmonie,
Lui départirent leurs présents;
<19>Minerve couronna tant de divers talents
En y réunissant sa divine sagesse.
Mais que redoutez-vous? Ce n'est pas tous les ans
Que le ciel peut former pour l'exemple des grands
Un modèle parfait d'une auguste princesse :
Et quand par ses bienfaits signalés, éclatants,
Le ciel aux mortels s'intéresse,
On peut leur céder sans bassesse.
Cédons à ses vertus, malgré moi j'y consens.
Ses mains d'un vaste État ont gouverné les rênes,
Tous ses sujets étaient heureux;
Elle essuyait leurs pleurs, elle allégeait leurs peines,
Elle était l'objet de leurs vœux,
Et ces mains, dont la force étayait un empire,
A l'égal d'Amphion en maniant la lyre,
Savaient apprivoiser les sauvages humains;
Thèbes aurait pu voir par ses accords divins
Ses murs longtemps détruits soudain se reproduire.
Dans ses vers aisés et coulants,
Je dois vous l'avouer sans feindre,
On trouve de ces traits frappants
Auxquels nous ne pouvons atteindre.
Et pourquoi donc nous obliger
A comparaître devant elle?
Des beautés que notre art recèle
Rien pour elle n'est étranger.
Ah! si je m'en croyais ......
Imitez donc mon zèle,
Ce jour se doit solenniser;
<20>Si les efforts de l'art que nous pouvons produire
Sont insuffisants pour l'instruire,
Nous pouvons du moins l'amuser.
Momus, aux traits de la folie
Mêlant le sel attique et la vive saillie,
Causait dans le banquet des cieux
Ce rire inextinguible où se livrent les dieux;
De Momus nous avons la rivale en Thalie,
Même fonds de gaîté, mêmes propos joyeux.
Revêts tes brodequins, ma sœur, je t'en supplie;
Que la satire, sur tes pas,
Anime tes portraits d'un noble badinage;
Les sots sont placés ici-bas
Pour les menus plaisirs du sage.
Je suis tout éperdue, et sens mon corps trembler;
A l'aspect imposant d'une illustre princesse,
Sais-je si je pourrai parler?
Mais enfin, sans plus me troubler,
Domptant la frayeur qui m'oppresse,
Je puis sans me déshonorer,
Mes sœurs, moi seule lui montrer
Ce que dans le fond de son être
Elle n'a pu jamais ni trouver ni connaître,
Les vices, les défauts des vulgaires humains,
Le ridicule, la sottise,
Faux pas et tours de balourdise,
Dont le monde fécond nous produit des essaims.
Et si je vous parais encor trop circonspecte,
C'est crainte de mes nourrissons;
Il est dur d'ennuyer les grands que l'on respecte,
Par de maussades histrions.
Ah! tout dégénère au Parnasse;
Les Roscius et les Barons27-a
<21>Étaient ma véritable race,
Ceux que vous allez voir en sont les avortons;
Et quoique par mes jeux je n'ose me promettre
Un suffrage bien mérité,
Puisque le sort en est jeté,
Avancez, mes bâtards, il est temps de paraître.
24-a Récité à Berlin, le 26 octobre 1769, pour célébrer la présence de l'électrice douairière Antonie de Saxe.
27-a Michel Baron, comédien français, élevé et formé par Molière, mourut en 1729, âgé de soixante-dix-huit ans. Il conserva jusqu'à sa mort la faveur du public.