<130>Qui sur une foule vulgaire
Établit sa puissance à force de rigueurs.
Mais votre empire est débonnaire,
Vous m'avez subjugué, mon joug est volontaire,
Et ce serait pour moi le comble des malheurs
Si le sort barbare et contraire
Réussissait à me soustraire
A la douce rigueur de mes fers enchanteurs.
Tandis qu'en tant de lieux des nations d'esclaves,
Malgré tous leurs efforts opprimés par des rois,
Brûlent de briser leurs entraves
Pour se gouverner à leur choix;
Tandis que le peuple de Corse,
Indocile et fougueux, se démène et s'efforce
A rompre les fers des Génois :
Je brigue l'unique avantage
De vous rendre à jamais le plus fidèle hommage.
Votre esprit, votre cœur, votre air, votre beauté,
L'emportent sur ma liberté,
Sur cette liberté, mon unique apanage,
Qui fit des Suisses en tout âge
La suprême félicité.
Idole de mon cœur, vous, l'âme de mon âme,
Vous étouffez en moi l'esprit républicain;
J'abhorrais autrefois le nom de souverain,
Et je l'aime à présent, quand je pense à ma flamme.
Que le grave conseil de nos Bernois me blâme,
Que l'ombre du grand Tell, m'apparaissant soudain.
M'appelle un suppôt de Tarquin,
Vous serez, quoiqu'il me réclame,
Souveraine de mon destin.
Prenez donc désormais les rênes de l'empire
Sous ces auspices fortunés;
Et puisque à vous mon cœur aspire,
Songez que des Brutus, tous héros forcenés,
Détestant devant vous le stoïque délire,