SCÈNE III.
LE MARQUIS, LA RÉJOUISSANCE, LE LIBRAIRE.
LE MARQUIS, au libraire.Mon ami, encore un mot. Après avoir fait mesurer les rayons de mes armoires, il s'est trouvé qu'elles ont trente et six aunes de long, ajoutés les uns aux autres. Vous m'avez promis pour trente aunes de livres, il faut donc encore que vous m'en fournissiez pour six aunes.
LE LIBRAIRE.Monsieur, je vous ai en vérité servi de mon mieux; nous vous avons fourni ce que nous avons eu de plus estimé dans notre boutique. Il nous reste encore trente exemplaires des œuvres de Marivaux,a une centaine de ceux de l'abbé de Saint-Pierre,a et une centaine de la philosophie par M. des Champs.a Mais, monsieur, il y a si longtemps qu'ils sont dans notre boutique, qu'en conscience nous n'avons pas osé vous les offrir.
LE MARQUIS.Quittez ces façons, et faites relier au plus vite. Marivaux et l'abbé de Saint-Pierre, reliés en maroquin, la philosophie par M. des Champs, seront fort beaux et orneront très-bien ma bibliothèque. Les pourrai-je avoir en six jours?
LE LIBRAIRE.Je ferai l'impossible pour vous satisfaire. Votre serviteur, monsieur.
(Il s'en va.)
a Voyez t. X, p. 97, et t. XI, p. 248, où le Roi fait aussi des allusions satiriques aux ouvrages de Marivaux.
L'abbé de Saint-Pierre, après avoir publié, en 1729, l'Abrégé du projet de paix perpétuelle, et, en 1741, des Réflexions sur l'Antimachiavel, déclara dans son Énigme politique que le roi belliqueux était en contradiction avec l'auteur de l'Antimachiavel. Voyez t. IX, p. 36.
Jean des Champs, auteur d'un Cours de la philosophie Wolffienne, dans lequel il dit (t. I, p. 286) que la figure de Voltaire était laide et ridicule. Des Champs était alors ministre du saint Évangile à Berlin.