Vous désirez que je destine Julie au jeune Bilvesée; mais je ne vois pas qu'ils aient besoin d'algèbre pour engendrer.
BARDUS.Il en faut partout, et je me pâme d'aise en pensant quelle petite race de savants ils vont engendrer.
ARGAN.Tout doucement. Je me suis engagé sous condition que Julie consentît à ce mariage; mais si elle s'y oppose, je vous déclare que je ne serai point assez barbare pour l'y forcer, et qu'en ce cas, il faut renoncer à ce projet.
BARDUS.Quoi! vous qui êtes le père, vous irez demander l'avis de votre fille pour la marier! N'êtes-vous pas le maître dans votre maison? Quelle plaisante complaisance pour votre fille! Ma foi, mon fils épousera qui il me plaira de lui donner pour femme.
ARGAN.Si je fais cas de la philosophie, ce n'est pas de celle qui s'exerce en vaines spéculations, mais de celle qui pratique une bonne et saine morale. Si la nature nous a donné des droits sur nos enfants, elle n'a pas voulu que nous en abusions; nous sommes leurs premiers amis, et non pas leurs tyrans. Julie est bien élevée, elle n'a aucune inclination vicieuse. Elle est en âge de raison; ainsi c'est à elle à savoir si elle pourra se résoudre à passer toute sa vie sous les lois de votre fils, ou si elle y répugne. Les mariages forcés ont fait souvent perdre leur innocence à de jeunes cœurs nés vertueux. Le ciel me préserve de devenir le complice des crimes qu'un malheureux mariage forcerait ma fille de commettre!
BARDUS.Voilà de la morale bien à propos! Quoi! mon fils jouira après mon décès de six mille bons écus de rente. Il n'y a personne ici qui en ait autant.