<83>Oisifs et désœuvrés dans leur heureux état,
Sans doute on aurait vu leur âme toujours vide
Sentir du froid dégoût la langueur insipide.
Dieu lors à leur secours appela le travail :
L'homme mena le soc, et tondit le bétail;
Auprès de lui vola la féconde industrie,
Et par mille arts nouveaux son âme fut remplie.
Sa chute fut du ciel une insigne faveur,
Cette époque data l'instant de son bonheur.
Le monde plus qu'alors est prêt à nous séduire,
Et vers l'oisiveté tout paraît nous conduire.
Étranger à toi-même, au dehors répandu,
Du léthargique ennui tu seras morfondu.
Des plaisirs enchanteurs la brillante cohue
Est le premier appât qui nous blesse la vue;
Les vains amusements, les dissipations,
D'un âge impétueux les fougueux tourbillons
Et d'un amour nouveau la vive et tendre flamme
Remplissent pour un temps le vide de notre âme;
Sur l'autel de l'amour nous consumons nos feux,
Et le charme à l'instant disparaît à nos yeux.
Mais pour associer l'utile à l'agréable,
Pour rendre le plaisir plus ferme et plus durable,
L'étude et le savoir nous prêtent leur secours;
Ils allongent le fil de nos plus heureux jours.
La molle volupté par leurs mains est parée,
L'amour est réfléchi, la tendresse épurée;
Ovide nous instruit dans l'art de bien aimer,
Anacréon à boire, à rire, à folâtrer.
Nos âmes, par Minerve au sein des arts guidées,
Gagnent dans ce Pérou tout un trésor d'idées;
De nos ébats badins elles font l'agrément,
De nos graves discours elles sont l'ornement.
Le sublime plaisir que nous donne l'étude
Est un plaisir tranquille et sans inquiétude;
Ses faveurs sont sans fin, ses bienfaits sont constants;
Un seul moment voit naître et périr ceux des sens.