<85>Jadis, stupidement aux pieds d'un crocodile
On voyait prosterné tout un peuple imbécile;
Le singe même, objet d'un culte scandaleux,
Inspira du respect aux superstitieux.
Ici, le front tondu, sous le froc et l'étole,
Mystiquement obscur, un prêtre fait son rôle,
Et, marmottant d'un air de vrai magicien
Quelques vieux mots latins, pieux comédien,
Montre, sous un gâteau, le Dieu que l'on adore;
Le mortel aveuglé saintement le dévore,
Et pense renfermer dans son corps limité
L'Éternel, qui remplit toute l'immensité.
L'immortelle science est, pour l'homme qui l'aime,
L'organe tout-puissant de son bonheur suprême;
L'aveugle et sombre erreur devant elle s'enfuit,
L'aurore la précède, et le grand jour la suit.
Sur l'univers entier domine la science,
Dieux, hommes, animaux sont mis sur sa balance;
La nature est son livre, et dans l'immensité
Elle s'embarque, et suit l'auguste vérité.
Sur ce vaste océan, pleine de prévoyance,
Elle tient son compas; la sûre expérience,
La sage analogie, utile à ses desseins,
Lui sert de gouvernail; dirigé par ses mains,
Et jusqu'aux cieux des cieux porté par Uranie,
Où règne l'infini l'élève son génie.
Des mains du Créateur ravissant les secrets,
Elle a pu démontrer ses éternels décrets.
Sur ces sujets profonds c'est à moi de me taire;
Trois peuvent en parler, Dieu, Newton, ou Voltaire.
Nous sommes nés ici pour agir et penser;
Si tu veux bien agir, apprends à méditer.
Un siècle entier n'est rien; beaucoup penser, c'est vivre;
Végéter est un rêve, un songe d'un homme ivre.a
Tel, par ses passions indignement vaincu,
S'imagine de vivre, et n'a jamais vécu.
a L'Auteur répète et varie souvent cette pensée; p. e. t. X, p. 78.